
Pour la plupart d’entre nous qui philosophons, il n’y a pas la philosophie, mais des philosophies. Nous pensons à l’abri de frontières solides, nos chapelles sont nombreuses, chacune gardienne de son domaine et de son dogme.
Ce que vient conforter encore le fossé qui sépare les philosophies « continentale » (celle qui est majoritairement la nôtre en Europe continentale) et « analytique » (telle qu’elle se pratique dans le monde anglo-saxon depuis Frege, Russell ou Wittgenstein) : parce qu’il a toutes les apparences du bon sens, celui-ci vient donner une légitimité supplémentaire et comme officielle à la spécialisation des tâches. Reste que lorsque nous posons que la « vraie » philosophie se fait ici et non là-bas, ou que l’intuition, par exemple, vaut mieux que l’analyse, nous présupposons implicitement un savoir de « la » philosophie en général ; dans ce partage du vrai et du faux ou de l’authentique et de l’illusoire, nous avouons paradoxalement une vision unitaire de la chose. (...)
De fait le livre est ambitieux, embrassant la majeure partie de ce qui se fait en philosophie depuis trente ans pour l’ordonner et le mettre en perspective depuis un seul et unique problème. Il est également polémique, prenant directement à partie l’ensemble de cette philosophie contemporaine pour suggérer qu’elle fait fausse route, que la solution qu’elle donne à son problème constitutif est une impasse, et qu’il serait grand temps de « songer à virer de bord » (p. 24). Avant de rentrer plus avant dans ce propos décoiffant, reconnaissons qu’il a le mérite de tenter une vue d’ensemble sur la philosophie, ce qui est rare et précieux. Il assume une vraie question : que pensons-nous aujourd’hui ? Vers quoi regardons-nous tous ensemble ? Ce « nous » d’époque, ce « nous » des philosophes d’aujourd’hui, a-t-il un sens, et lequel ? (...)