
Débauchée chez le promoteur Nexity par Emmanuel Macron en mars 2021, la préfète de la région Centre a promis qu’elle ne se mêlerait pas des sujets liés à son ancien employeur. Un mail que nous avons consulté montre pourtant que Régine Engström a soutenu un projet immobilier de Nexity à Montargis contre la position des services de l’État. Stéphane Bern, mobilisé sur le sujet, dit son indignation à Mediapart.
(...) Le projet en question prévoit la destruction d’une partie de la caserne Gudin, bâtie au XIXe siècle et sous le régime de l’instance de classement aux monuments historiques, pour y construire une résidence seniors haut de gamme. Alarmés, des défenseurs du patrimoine locaux et nationaux ont sollicité une protection au titre des monuments historiques.
Ces derniers souhaitent un aménagement conservant la structure existante de l’édifice, composée d’un bâtiment central, dit de l’horloge, et deux ailes latérales, autour d’une place d’armes, au milieu d’un terrain de 5,6 hectares situé à deux pas du centre-ville de Montargis.
La préfète de région, dont la nomination par Emmanuel Macron en mars 2021 en provenance du secteur privé avait étonné, a publiquement déclaré qu’elle s’était déportée du dossier pour éviter tout conflit d’intérêts avec Nexity, dont elle était la responsable des partenariats stratégiques et de la RSE (responsabilité sociétale des entreprises), siégeant au comité exécutif du groupe, avant de prendre ses fonctions préfectorales. (...)
Mais, des éléments réunis par Mediapart prouvent l’implication directe de Régine Engström dans le dossier. Le 4 octobre 2021, la préfète a ainsi personnellement décidé d’écrire à des membres du cabinet de la ministre de la culture Roselyne Bachelot pour contester les arguments des opposants à la destruction de la caserne, selon une copie du courriel que nous avons pu consulter.
Sollicitée par Mediapart, Régine Engström a relativisé cette intervention en expliquant, par le biais du service de communication de la préfecture, que son mail faisait partie de « remontées d’information des services de l’État vers les cabinets ministériels ». « Expliquer un contexte local est une obligation et ne peut être assimilé à une prise de position », a ajouté la préfecture, sans mentionner le fait que Régine Engström était à l’origine de l’envoi de ce mail, à la veille d’un rendez-vous important de la ministre sur le sujet. Dans le courriel, la préfète met clairement en avant les arguments d’élus locaux, alliés de Nexity, contre les opposants au projet.
Pourtant, environ trois mois avant l’envoi de ce message, la commission régionale du patrimoine et de l’architecture (CRPA), instance experte indépendante placée auprès de la préfète de région, avait sollicité, le 29 juin 2021, la protection de la caserne Gudin, au grand dam des porteurs du projet immobilier. (...)
Alors que Nexity et des élus locaux ont intensifié leur campagne de lobbying auprès des pouvoirs publics, le dossier n’avance plus depuis l’été 2021. (...)
« On voit bien la tentation de jouer la montre, c’est sûr », reconnaît auprès de Mediapart le cabinet de la ministre de la culture Roselyne Bachelot. Mais les services du ministère travailleraient à la recherche d’une « solution à l’amiable ». « Notre idée est de privilégier le dialogue avec les parties prenantes, la communauté d’agglomération et le promoteur, pour voir s’il n’y a pas une voie de passage pour que leur projet se réalise, tout en évitant un certain nombre de destructions », explicite l’entourage de Roselyne Bachelot. (...)
À Montargis, le passé de la préfète chez Nexity a longtemps nourri des interrogations chez les opposants au projet. Elles ont même poussé, le 21 octobre 2021, l’animateur télé Stéphane Bern, impliqué dans la défense du patrimoine, à s’emparer publiquement de l’affaire et à lui donner un écho médiatique certain.
« J’espère que la préfète est plus motivée par la défense du patrimoine que par les intérêts d’une entreprise privée », a lâché ce jour-là, au micro de France Bleu-Orléans, celui qui avait été chargé par Emmanuel Macron d’identifier les ressources méconnues du patrimoine français au début du quinquennat. Stéphane Bern a ensuite développé son propos, précisant qu’il ne s’agit « pas [d’]une accusation » : « C’est simplement une mise en garde. Je veux croire que pour le moment, il n’y a pas eu de pot-de-vin, pas de dessous de table. Cette question est brûlante, et j’en fais un symbole important de la défense du patrimoine. »
À la fin de cette interview, « la préfète m’a tout de suite appelé pour me rassurer : “Ne vous inquiétez pas, je me suis déportée de ce dossier” », raconte aujourd’hui l’animateur auprès de Mediapart, stupéfait d’apprendre que Régine Engström s’est en réalité impliquée dans l’affaire.
D’autant que la représentante de l’État avait également assuré publiquement avoir pris toutes ses dispositions pour ne pas interagir avec les intérêts de Nexity. (...)
Bien au-delà de Montargis, de la caserne et des enjeux autour de sa conservation, le dossier de Gudin met aussi en exergue les risques liés à la modification des règles de mobilité dans la haute fonction publique, et l’augmentation des aller-retours, déjà nombreux, avec le secteur privé. (...)
Nexity entretient lui-même cette porosité avec la haute administration. (...)
Sous la houlette de son président Alain Dinin, le promoteur immobilier est aussi devenu un « refuge doré » pour conseillers ministériels, comme l’a raconté la Lettre A en juin 2021. (...)