
Depuis le 1er novembre 2016, près de trente mille Rohingyas, victimes d’exactions, ont fui la Birmanie. Si Mme Aung San Suu Kyi a instauré une conférence de paix avec tous les groupes armés, les divisions ethniques demeurent. Un an après son élection, toujours tributaire des généraux, elle doit aussi faire face aux problèmes économiques intérieurs.
epuis leur entrée au Parlement, en mars 2016, les 390 élus de la Ligue nationale pour la démocratie (LND, le parti que dirige Mme Aung San Suu Kyi) logent dans les bâtiments monotones d’une ancienne résidence de l’armée à Naypyidaw, la capitale birmane. Lors des législatives du 8 novembre 2015, leur formation a remporté 75 % des sièges. À 8 h 20, comme tous les jours lors des sessions parlementaires, ils enfilent leur tenue : costume de leur région pour les députés des minorités ethniques ; kaung paung, le turban traditionnel, pour leurs homologues bamars (majorité birmane). Enfin prêts, tous cadenassent les portes de leurs chambres rudimentaires. Pas question d’être en retard. Des motards les attendent : les fonctionnaires du ministère de l’intérieur s’assurent qu’ils montent dans les minibus, avant de les escorter jusqu’au Parlement.
Sur les gigantesques avenues à l’allure martiale, leur convoi semble bien vulnérable. Les barrages militaires placés à l’entrée des axes menant à la Chambre se referment derrière eux. Il faut assurer la sécurité des nouveaux députés, affirment les soldats en faction. Mais quelle menace pèserait sur ces représentants triomphalement élus ? « L’armée ! », répond le député Win Htein, un fidèle de Mme Suu Kyi, conscient du paradoxe que suggère sa réponse : « À tout moment, nous pourrions être emmenés en prison, ironise-t-il. L’idée nous a effleurés les premiers jours où nous montions dans ces bus. »
Des députés tenus à l’obéissance
Ce tableau quotidien illustre le scénario qui se joue en Birmanie (Myanmar). Celui d’une démocratie naissante encadrée par une junte militaire qui, depuis 1962, sous différentes formes et sous des acronymes alambiqués, dirigeait le pays. Une évolution plus qu’une révolution, souligne le journaliste Myint Zaw : « Les généraux ont pris l’initiative du changement. Et ils sont incontournables. » Certes, la dictature n’est plus, mais ce premier gouvernement civil doit se satisfaire d’une Constitution écrite en 2008 par et pour l’armée. (...)
« Par le passé, observe Min Zin, on voyait la junte militaire comme l’ennemi commun. Aujourd’hui, la Tatmadaw travaille en collaboration avec le gouvernement sur le processus de paix (6). » Mme Suu Kyi elle-même se retrouve soupçonnée de faiblesse face à l’institution militaire, fondée par son père. Ainsi, en novembre 2016, elle a appelé à l’arrêt des combats quand quatre armées de l’Alliance du Nord ont attaqué des postes de police dans l’État shan. Mais elle est restée muette face aux offensives de la Tatmadaw. « L’armée bouscule la dynamique des relations dans le camp des anciennes forces démocratiques, renchérit Carine Jaquet. Autrefois, on pouvait effacer le clivage ethnique au profit d’une vision commune. » Désormais, c’est terminé.
La LND jouit d’une marge de manœuvre étroite. Le gouvernement civil ne maîtrise ni les forces armées ni la fonction publique dans son ensemble. Les ministères-clés de la défense, des affaires frontalières et de l’intérieur lui échappent : ils sont réservés à des militaires. Comment le gouvernement peut-il insuffler ou faire appliquer sa politique si la loyauté des fonctionnaires lui échappe ? (....)
Avec la levée des sanctions économiques américaines, annoncée en septembre 2016, durant la visite officielle de Mme Suu Kyi à Washington, et effective depuis octobre, le gouvernement a perdu un moyen de pression sur les généraux. Cent quatre personnalités étaient interdites de visas et de commerce, tout comme des entreprises détenues par des militaires et leurs partenaires, ceux que les Birmans appellent les cronies (« acolytes ») (7). Le directeur du site d’information The Irrawaddy, Aung Zaw, fustige la décision américaine, qu’il juge prématurée : « Désormais, ils ont tout gagné. » (...)
« La peur, l’angoisse, la violence sont enracinées dans notre société », ajoute l’écrivaine et directrice du Pen Club Ma Thida. Ainsi, les violences exercées depuis 2012 contre la minorité musulmane, en particulier les Rohingyas, sont à ses yeux des conséquences du passé : « On opprime le plus faible par crainte du plus fort. La fureur qui ne pouvait s’exprimer autrefois par peur de la junte se libère sans retenue. Elle est attisée par les rumeurs qui se répandent sur les réseaux sociaux. » Mme Suu Kyi se montre d’ailleurs très timorée face à l’intolérance religieuse grandissante. Alors que l’armée est accusée de nettoyage ethnique dans l’Arakan, elle s’agace des critiques récurrentes de la « communauté internationale » sur le sort des Rohingyas (10).
« Nous peinons à dessiner un rêve commun »
La conseillère d’État aura 72 ans en juin 2017. Épuisée par ses séjours aux États-Unis puis au Royaume-Uni en septembre 2016, elle a dû suspendre ses activités plusieurs jours à son retour. Que se passera-t-il après sa disparition ? (.....)