ENQUÊTE 1/3 — Les plans de relance gouvernemental et européen font la part belle à l’hydrogène, qui serait l’énergie « verte » de l’avenir. Pourtant, la production de ce gaz pose de nombreux défis écologiques et l’enjeu de cette conversion paraît davantage économique que climatique.
En décembre dernier, une nouvelle publicité est apparue dans nos journaux. Entreprise en pointe du stockage de carburant, Plastic Omnium y montrait un verre d’eau, avec ce message : « Voilà tout ce qu’on rejette en roulant à l’hydrogène. » Un carburant fantastique qui ne rejette que de l’eau, voici la promesse qui accompagne le lancement de plans hydrogène dans le monde entier. Demain, selon ce discours, les camions, les avions et les trains rouleront à l’hydrogène, les usines tourneront à l’hydrogène, la pollution et les émissions de dioxyde de carbone (CO2) chuteront et la catastrophe climatique sera évitée. En France, le gouvernement a promis de dépenser plus de sept milliards d’euros sur dix ans pour développer ce nouveau vecteur d’énergie. Et pour piloter cette grande transformation, il vient de créer un Conseil national de l’hydrogène, rassemblant une palette de patrons d’entreprises aujourd’hui peu connues pour leur engagement contre le réchauffement climatique : Total, Air Liquide, Engie, Airbus, KemOne, ArcelorMittal, Faureci (...)
Le pot d’échappement rejette de la vapeur d’eau et non des particules nocives et du CO2 issus de la combustion des dérivés pétroliers. En revanche, que les véhicules soient thermiques ou électriques, à hydrogène ou pas, près de la moitié (environ 46%) des particules fines qu’ils émettent résulte de l’abrasion des freins, des pneus et des revêtements routiers, car aucun véhicule ne rejette « que de l’eau » (...)
L’hydrogène est dit « vert » quand cette électricité est issue de sources renouvelables
Mais la question essentielle est : d’où vient l’hydrogène qui fait rouler ce véhicule ? L’hydrogène est, sous sa forme gazeuse, très peu présent à l’état naturel. Cette rareté fait que la totalité de l’hydrogène (H2) utilisé est produit industriellement selon divers procédés. Aujourd’hui, plus de 95 % de l’hydrogène produit dans le monde est issu du méthane, du pétrole ou du charbon [4], par des procédés très polluants [5], notamment en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Le message de la publicité de Plastic Omnium est donc mensonger (...)
Dans le cadre de sa « stratégie de l’hydrogène pour une Europe climatiquement neutre », présentée en juillet 2020, l’Union européenne a validé l’objectif des industriels du secteur, qui est de faire rouler d’ici 2030 cent mille camions à l’hydrogène décarboné. Car le système du véhicule électrique avec batteries ne convient pas aux mobilités lourdes, sauf à embarquer des batteries excessivement pesantes. Le plan est donc de faire rouler à l’hydrogène les transports longue distance : frets routier, maritime, aérien. Notons que cet objectif de cent mille camions est très modeste au regard des trois millions de camions qui parcourent l’Europe.
À la demande de Reporterre, une équipe de chercheurs de l’Atelier d’écologie politique a calculé combien d’électricité serait nécessaire pour faire rouler les camions grâce à de l’hydrogène produit par électrolyse avec de l’électricité non fossile [8]. Résultat : pour alimenter cent mille camions de plus de seize tonnes parcourant une moyenne de 160.000 km/an, il faudrait 92,4 TWh/an (térawatts-heure par an), soit quinze réacteurs nucléaires ou 910 km2 de panneaux solaires. Et si on cherchait à remplacer la totalité du parc de poids-lourds en faisant rouler trois millions de camions à l’hydrogène, il faudrait alors 2.772 TWh/an, soit 427 réacteurs nucléaires ou 27.200 km2 de panneaux solaires, c’est-à-dire deux fois la taille de l’Île-de-France ! (...)
Mais le plan hydrogène du gouvernement, présenté le 8 septembre 2020, comme celui de l’Union européenne, vise en premier lieu, pour réduire les émissions de CO2, à décarboner la production d’hydrogène déjà utilisée par l’industrie lourde.
Il faudrait 33 km2 de panneaux photovoltaïques, soit 4.622 terrains de football — pour une seule usine (...)
Justement, en Gironde, Engie et Neoen s’apprêtent à raser 1.000 hectares de pins maritimes pour implanter un complexe photovoltaïque et un site de production d’hydrogène. S’il voit le jour, ce complexe sera l’un des plus grands sites photovoltaïque d’Europe ; il représente pourtant moins d’un tiers de ce qu’il faudrait pour décarboner l’usine Boréalis Grand-Quevilly.
Dernier exercice de mathématique : combien d’électricité faudrait-il pour remplir un seul des objectifs de la stratégie européenne à l’horizon 2030, celui consistant à remplacer l’hydrogène fossile actuellement consommé par l’industrie européenne (pétrochimie et engrais) par de l’hydrogène issu de l’électrolyse à partir d’électricité renouvelable ? Là encore, les chercheurs de l’Atelier d’écologie politique ont fourni quelques ordres de grandeur. En tenant compte des pertes liées à la compression et au transport, il faudrait 558 TWh d’électricité : l’équivalent de 86 réacteurs nucléaires ou 5.500 km2 d’éoliennes ou 5.470 km² de panneaux photovoltaïques, soit la superficie du département de l’Ardèche. Quant à l’ambition pour 2050, qui est de produire 2.250 TWh/an d’hydrogène par électrolyse, elle nécessite simplement de multiplier par sept ce qu’on vient d’énoncer.
« Créer un marché de 130 milliards d’euros à l’horizon 2030, et de 820 milliards à l’horizon 2050 » (...)