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L’homéopathie, placebo efficace ou croyance dangereuse ?
Article mis en ligne le 5 novembre 2017
dernière modification le 4 novembre 2017

Tandis que la campagne de vaccination contre la grippe se poursuit en France dans un climat de défiance envers les médicaments classiques, un rapport de l’Académie des sciences européenne stigmatise l’homéopathie. Pourtant, plus de la moitié des Français l’utilisent. Faut-il la condamner ou s’en inspirer ?

(...) Pour les Académies des sciences, cette pratique contribue à « saper la confiance des patients et du public dans la valeur des décisions médicales fondées sur la preuve scientifique ». D’où des retards dans le recours aux traitements reconnus efficaces, voire l’absence de prise de médicaments classiques (...) elles considèrent que les agences nationales ne devraient pas approuver des produits homéopathiques qui n’ont pas fait la preuve de leur efficacité et plaident pour leur déremboursement. (...)

Cet avis s’ajoute à la longue cohorte des études scientifiques réalisées depuis plusieurs années sur ce sujet. Ainsi, en 2015, le Centre national de la santé et de la recherche médicale australien a publié un rapport fondé sur l’analyse de 176 études. Conclusion : « Il n’y a pas de maladie pour lesquelles il existe une preuve fiable de l’efficacité de l’homéopathie. »

Et pourtant, malgré les conclusions aussi catégoriques des scientifiques, le niveau de confiance des Français dans l’homéopathie a atteint 73% en 2016 (+2% par rapport à 2015) et dépassé ainsi leur confiance dans les vaccins (69%, -2%), selon un sondage Ipsos. (...)

Le débat entre médecine allopathique et homéopathique ne date pas d’hier puisqu’il a commencé au début du XIXe siècle. (...)

En 400 avant Jésus-Christ, ce médecin grec, considéré comme le père de la médecine (le fameux serment), remarque que de faibles doses de racine de mandragore, plante voisine de la belladone, soignent la manie, l’une des phases du trouble bipolaire. Par ailleurs, Hippocrate sait qu’à fortes doses, cette racine engendre un trouble mental identique à la manie. Une vingtaine de siècles plus tard, Theophrastus von Hohenheim, dit Paracelsus, médecin, alchimiste et astrologue suisse considéré comme le père de la toxicologie, note que « ce qui rend l’homme malade le soigne aussi ».

Les vertus de la quinine

Ce raisonnement est repris à la fin du XVIIIe siècle par Samuel Hahnemann qui s’inspire des travaux d’un médecin écossais, William Cullen, sur le traitement du paludisme avec de l’écorce de quinquina. Il en ingère lui-même sans être porteur de la maladie. Et il ressent alors les mêmes symptômes que ceux du paludisme : fièvre, frisson, douleurs aux articulations… Pour Hahnemann, la preuve est faite. Il existe ce qu’il nomme un principe de similitude qu’il explique dans son œuvre majeure, Organon ou l’art de guérir, publiée en 1810 (...)

Une substance qui provoque les mêmes symptômes que ceux d’une maladie peut soigner cette maladie, sous réserve d’utiliser des « doses bien proportionnées ». C’est ainsi que l’écorce de quinquina peut soigner le paludisme. Voici donc introduits les deux grands piliers de l’homéopathie : le principe de similitude et la pratique des dilutions.

L’histoire est parfois facétieuse. À la même époque, en 1820, deux chimistes français, Joseph Pelletier et Joseph Caventou, travaillent également sur l’écorce de quinquina. Et ils parviennent, pour la première fois, à en extraire les principes actifs, dont la quinine. Et il se trouve que cet alcaloïde a la propriété de tuer le parasite Plasmodium falciparum, qui, transmis par les moustiques anophèles, provoque le paludisme chez l’homme ! L’extraction industrielle de la quinine, sous l’impulsion d’entrepreneurs allemands et américains, marque alors le début… de l’industrie pharmaceutique. Ainsi, la même écorce de quinquina est à l’origine de deux approches qui vont rester antagonistes jusqu’à aujourd’hui. (...)

l’héritage de l’homéopathie fait florès. En France, aujourd’hui, il existe environ 5.000 médecins homéopathes diplômés et 30% de l’ensemble des médecins prescrivent occasionnellement des médicaments homéopathiques, remboursés à 30% alors qu’ils bénéficient d’une dérogation à l’autorisation de mise sur le marché (AMM) appliquée aux autres médicaments. Cela permet aux laboratoires qui les produisent à partir d’environ 3.000 substances, d’éviter d’avoir à fournir la preuve de leur efficacité. L’article R5133 du code de santé publique précise ce statut particulier. Comment l’homéopathie a-t-elle pu obtenir un tel privilège ? S’agit-il d’un scandale sanitaire dont profitent les laboratoires, Boiron en tête qui emploie plus de 3.500 personnes et réalise un chiffre d’affaires de plus de 600 millions d’euros ? (...)

le principe même de la production de granules homéopathiques conduit à la disparition de toute molécule active. D’où deux hypothèses. La première consiste à penser que le solvant conserve une sorte de mémoire de la présence passée de la molécule active. Ce phénomène expliquerait son action sur la maladie. La dernière tentative en date pour conférer une réalité scientifique à cette hypothèse remonte aux travaux de Jacques Benveniste sur la mémoire de l’eau dans les années 1980. L’affaire a fait couler beaucoup d’encre sans parvenir à s’imposer.

La seconde hypothèse, celle de l’effet placebo, reste seule en lice aujourd’hui même si elle est souvent considérée comme péjorative. À tort, en fait. La meilleure preuve de l’importance de l’effet placebo réside dans… la procédure d’autorisation de mise sur le marché (AMM) des médicaments classiques. Ces derniers doivent, pour réussir cette épreuve, faire la démonstration qu’ils sont « significativement » plus efficaces qu’un placebo (étude randomisée en double aveugle). Et c’est loin d’être facile ! Une étude de 1955 évalue à 35% la part de l’effet placebo dans le traitement de la douleur par la morphine. Une autre étude publiée en 2014 porte l’effet placebo à hauteur de 50% dans le cas de l’administration d’un médicament contre la migraine, le Maxalt.

Un effet psychologique très variable
Qualifier l’homéopathie de placebo est donc loin d’être dévalorisant. Même si la revue Nature a publié en 2016 un article qualifiant les placebos d’escroquerie honnête (honest fakery). En réalité, l’effet placebo (du latin « je plairai, ou je ferai plaisir ») serait connu depuis la nuit des temps. Plus précisément, la première trace de médicaments chimiquement inactifs semble remonter au papyrus égyptien Ebers datant d’environ 1.500 ans avant notre ère. Il y est fait mention de 842 médicaments dont 700 véritables et 100… que nous nous nommerions aujourd’hui placebo. (...)

Le problème que pose l’effet placebo réside en grande partie dans sa variabilité d’un individu à l’autre et d’un moment à l’autre pour un même individu. Il semble que la génétique explique en partie ces fluctuations. (...)

Le corps humain dispose ainsi d’une capacité à se soigner lui-même. Néanmoins, cette aptitude reste sujette à un subtil conditionnement psychologique. Ce dernier peut d’ailleurs agir dans les deux sens : positif avec l’effet placebo et négatif avec l’effet nocebo (en latin : « je nuirai ») dont l’existence est très instructive. Une étude récente identifie cinq situations dans lesquelles le patient devient moins réceptif à un traitement contre la douleur parmi lesquelles on trouve :

Une communication négative entre le patient et le médecin pendant le traitement

Une charge émotionnelle du patient pendant la prise de l’analgésique

Une information négative sur le traitement fournie par une brochure

Ces situations négatives peuvent être mises en regard des caractéristiques du traitement homéopathique :

Une consultation plus longue et plus approfondie chez le thérapeute

Une prise en compte de l’historique médical du patient et de son état général

Une attention soutenue portée à sa santé pendant la prise quotidienne de granules sur une longue période

Le secret de l’efficacité de l’homéopathie n’est autre que celui de l’induction d’un effet placebo qui ne doit rien au contenu des granules mais tout au conditionnement psychologique du patient. De là à imaginer qu’une consultation classique, qui se résume parfois à la consultation du Vidal pour trouver le médicament qui correspond aux symptômes d’une maladie, puisse plutôt provoquer un effet nocebo, il n’y a qu’un pas.

Loin de se contenter de stigmatiser l’absence de substances actives dans les granules homéopathiques, les médecins pourrait s’inspirer d’une méthode qui, en matière de relation avec leurs patients, peut induire un effet placebo important. Ce dernier peut accompagner aussi bien les pratiques dites douces ou parallèles que les traitements classiques. (...)