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Mediapart
L’historienne Malika Rahal : « La France n’a jamais fait son tournant anticolonialiste »
Article mis en ligne le 3 juillet 2022
dernière modification le 2 juillet 2022

La scène politique française actuelle est née d’un monde colonial, avec lequel elle n’en a pas terminé, rappelle l’autrice d’un ouvrage important sur 1962, année de l’indépendance de l’Algérie. Un livre qui tombe à pic, à l’heure des réécritures fallacieuses de l’histoire.

Soixante après la fin de la guerre d’indépendance, les fantômes de l’Algérie française continuent de hanter la France. En témoignent les trois jours de « nostalgérie » organisés par l’extrême droite à Perpignan le week-end dernier. En témoigne aussi le discours applaudi, cette semaine à l’Assemblée nationale, du doyen de l’hémicycle José Gonzalez, un pied-noir élu du Rassemblement national, regrettant d’avoir été « arraché à sa terre » et célébrant l’OAS terroriste et raciste.

Rien de surprenant pour l’historienne Malika Rahal, chargée de recherche au CNRS et spécialiste de l’histoire contemporaine de l’Algérie : « La France n’a jamais fait son tournant anticolonialiste. C’est tout là le problème. » Entretien avec celle qui a publié cette année une enquête historique remarquable et passionnante : Algérie 1962. Une histoire populaire (La Découverte, 2022). (...)

Malika Rahal : Il n’y a pas de consensus sur la question coloniale comme il y a un consensus sur le fascisme ou l’esclavage. Dans ces domaines, il peut y avoir des voix discordantes mais où l’on est collectivement d’accord sur la condamnation.

La politique actuelle « des petits pas » développée par le président français masque mal l’absence d’une condamnation claire du colonialisme. Plus que cela, par la répétition des discussions autour de chaque geste accompli par Emmanuel Macron, elle « fatigue » la question coloniale, lui fait perdre de son feu. Elle fait passer ceux qui exigent un rejet net de la colonisation et de l’impérialisme pour de perpétuels insatisfaits qui ne sauraient pas accepter de bonne grâce les (petits) efforts de l’État français (...)

Mais la question coloniale n’est pas décorative. C’est une question de fond qui devrait interroger le regard des anciens pays colonisateurs non pas seulement sur le passé mais également sur le présent et sur l’avenir. (...)

Le Front national est un héritier de la lutte contre les indépendances. Et parmi les petits pas du président Macron, la reconnaissance du « massacre de la rue d’Isly » a révélé qu’il était encore impossible de nommer de façon claire les crimes de l’Organisation armée secrète.

Que José Gonzalez, président d’un jour de l’Assemblée nationale et député RN, ait, devant des journalistes, fait mine d’ignorer les crimes de l’OAS rappelle précisément quel est l’ADN de son parti, au moment où celui-ci normalise sa position dans la vie politique. (...)

Côté algérien, paradoxalement, la déception recouvre également les choses, au moins dans l’espace public où ce qui domine est la référence à la crise politique du Front de libération nationale (FLN) en 1962. Cette crise, et les combats entre Algériens de l’été, sont souvent utilisés pour expliquer tout ce qui ne va pas dans le pays par la suite.

Pourtant, derrière ces histoires tragiques, il y a aussi une formidable victoire contre le colonialisme, le retournement d’un phénomène de domination et d’exploitation qui a marqué l’histoire du monde au XIXe et au XXe siècle. À l’échelle de l’histoire du monde, c’est une avancée décisive. (...)