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La vie des idées
L’héritage de la RDA
Agnès Arp, Élisa Goudin-Steinmann, La RDA après la RDA. Des Allemands de l’Est racontent, Paris, Éditions du Nouveau Monde, 2020, 406 p.
Article mis en ligne le 15 décembre 2020
dernière modification le 14 décembre 2020

Un important travail d’histoire orale permet de retracer la vie des Allemands de l’Est « vue d’en bas ». À la dévalorisation de la RDA dans les années 1990 a succédé une réappropriation identitaire par ses citoyens. L’« autre Allemagne » nourrit une recherche de plus en plus dynamique.

L’Allemagne célèbre ses trente ans d’unification, qui ne sont toujours pas trente années d’unité. L’ouvrage d’Élisa Goudin-Steinmann et Agnès Arp apporte de l’eau au moulin de ceux qui pensent que la RDA et le processus d’unification ne sont pas de lointains souvenirs, mais des expériences au long cours qui continuent d’exercer une forte influence sur la vie de la nation allemande tout entière. (...)

Une histoire orale de la RDA

Bien loin des discours tenus dans les années 1990 par les nouveaux « vainqueurs de l’histoire », cet ouvrage propose une histoire d’en bas de la vie des Allemands de l’Est en RDA, et pendant les trente années qui ont suivi la disparition du second État allemand, fondé en 1949 et officiellement absorbé par son grand frère le 3 octobre 1990. Le temps écoulé – une génération – permet de poser un regard plus apaisé sur ce petit État qui n’a existé que durant 40 ans, mais qui marque de son empreinte le vécu d’une partie importante de la population allemande, alors que l’autre partie continue d’ignorer le passé et l’existence actuelle des Allemands de l’Est.

Les chercheuses Élisa Goudin-Steinmann (germaniste, maître de conférences à la Sorbonne Nouvelle) et Agnès Arp (historienne, chercheuse à l’université d’Iéna) inscrivent leur travail dans le mouvement de réhabilitation de certains aspects de la vie quotidienne en RDA par le biais de la revalorisation des études d’histoire orale. (...)

Qu’est-ce que la RDA aujourd’hui ? Comment cet objet politique, historique, mémoriel, se décline-t-il dans les mémoires collectives, individuelles, familiales, officielles ou non officielles, dans les discours médiatiques, dans les prises de position des dirigeants politiques, dans la recherche scientifique ? (p. 27)

Pour répondre à ces questions, elles croisent les témoignages de « citoyens ordinaires, ceux et celles qui n’étaient ni opposants au régime, ni fonctionnaires du régime » (p. 18), s’appuyant sur le concept d’Eigensinn (ici traduit par « quant à soi ») développé par l’historien Alf Lüdtke. (...)

À travers les récits de vie, les auteures montrent à quel point cette rupture brutale a pu attiser le sentiment de dévalorisation de nombreux Allemands de l’Est, en raison notamment de l’action de la Treuhand, institution fiduciaire mise en place pour liquider les entreprises d’État de la RDA sous couvert d’une transition « douce ». Entre 1989 et 1992, le nombre d’emplois en Allemagne de l’Est a été divisé par deux (p. 61).

Les auteures mettent aussi en lumière les dommages symboliques et financiers liés à la liquidation du passé. (...)

La place des femmes

Les passages consacrés aux « réappropriations » mettent en lumière la permanence de certaines pratiques sociales qui étayent la thèse d’une identité collective. L’antifascisme continue d’être perçu comme un point de départ incontournable pour l’existence d’un État allemand ; on continue d’offrir des fleurs à toutes les femmes le 8 mars, Journée internationale des femmes ; les enfants sont toujours heureux de se soumettre au rite de la Jugendweihe, une sorte de communion laïque héritée de la RDA.

Pour introduire la problématique de la perte des acquis sociaux de la RDA, les auteures citent le titre du spectacle de Franck Castorf à la Volksbühne en 1997 : « La liberté rend pauvre » (Freiheit macht arm). Cette entrée en matière sert à relativiser l’exercice d’une liberté qui n’existe pas sans soubassement économique. (...)

La revalorisation à l’œuvre passe clairement par des pratiques sociales héritées de la RDA, puis de la période de mise à l’écart des « citoyens de seconde zone » que les Allemands de l’Est ont souvent eu l’impression d’être depuis 1990. Les auteures proposent une synthèse des différents domaines dans lesquels une spécificité de l’Est se fait encore jour : éducation, art, culture ou place des femmes, pour citer les plus saillants.

Un exemple donne à penser : aujourd’hui encore, les performances des jeunes Allemandes de l’Est en mathématiques demeurent bien supérieures à celles de leurs camarades de l’Ouest – lointaine revanche d’un pays qui avait beaucoup insisté sur la réduction des inégalités entre femmes et hommes, alors que, dans le même temps, en RFA, il a fallu attendre 1977 pour que les femmes ouest-allemandes aient le droit d’exercer une profession sans l’accord de leur mari.

Approches nouvelles

La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à la place de la RDA dans la recherche en sciences humaines et sociales. La présentation chronologique de l’évolution en ce domaine suit les mêmes étapes que celles de l’évolution sociale ressentie par les Allemands de l’Est : la RDA fut dans un premier temps diabolisée comme exemple type de la dictature et de l’État de « non-droit », un jugement qui continue d’être souvent encore la seule analyse proposée et coupe court à toute vision sur le long terme.

D’autres approches ont peu à peu émergé, évaluant de façon variée la marge de manœuvre dont les citoyens pouvaient réellement disposer à l’intérieur du régime, entre opposition, résistance et quant-à-soi. (...)