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Mediapart
En Nouvelle-Calédonie, le désarroi des familles face à une justice « à deux vitesses »
#NouvelleCaledonie #Kanaky #répression #justice
Article mis en ligne le 30 septembre 2025
dernière modification le 27 septembre 2025

Dossiers toujours en souffrance plus d’un an après la mort de leurs proches, questionnements sur le statut des auteurs de tirs visant des Kanak, peines à géométrie variable... En Nouvelle-Calédonie, les familles de victimes des forces de l’ordre désespèrent d’obtenir des réponses.

Plum, la stupeur a fait place à la colère. Dans ce petit village de la commune du Mont-Dore, à 30 kilomètres au sud de Nouméa, un jeune homme de 32 ans, Faara Tournier, a été mortellement blessé jeudi 18 septembre lors d’une intervention des forces de l’ordre pour une rixe en marge de la fête à laquelle il participait.

Plusieurs coups de feu ont été tirés. Deux, reconnaît le gendarme mobile, qui « se serait senti en danger » alors qu’un pick-up effectuait des embardées en se dirigeant vers lui, selon le procureur de la République de Nouméa, Yves Dupas. Trois, selon plusieurs jeunes présents à la soirée. Le projectile que Faara a reçu juste sous l’œil gauche ne lui a en tout cas laissé aucune chance. Il est mort deux jours plus tard.

Ce qui choque aujourd’hui son oncle, Soane Tafusimai, c’est que le gendarme n’a pas été mis en examen, mais placé sous le statut de témoin assisté. « Pour nous, il y a une justice à deux vitesses, c’est comme si on nous disait que c’était normal de l’avoir tué », déplore-t-il. « La façon dont on parle de mon frère, du fait qu’il y avait une fête et de l’alcool, c’est presque comme si c’était lui le coupable, raconte aussi Heirarii Tournier, le frère de la victime. Mais il était juste sur le trottoir avec ses amis. On appelle tout le monde au calme, mais ils n’avaient pas à utiliser d’arme. Pour moi, il a été abattu comme un chien. » (...)

En bénéficiant du statut de témoin assisté, le gendarme mis en cause ne pourra être ni placé sous contrôle judiciaire ni assigné à résidence, et encore moins être envoyé en détention provisoire. « On ne voit jamais ça dans ce type d’affaires, explique un avocat du barreau de Nouméa. Le juge d’instruction a tout intérêt à demander la mise en examen, quitte à revenir dessus plus tard, pour avoir le plus de moyens d’action à sa disposition. »

Pourtant, quand ce sont les gendarmes qui sont visés, le parquet n’hésite pas à étendre au maximum les qualifications pénales pour obtenir des moyens d’enquête supplémentaire. Le 15 août, lorsqu’un véhicule vide stationné le long d’une maison occupée par des gendarmes a été visé par des tirs au milieu de la nuit, le procureur de la République avait ainsi ouvert une enquête pour tentative de meurtre.

« Un climat de peur »

L’affaire de Plum tombe au mauvais moment pour les autorités, alors qu’elles ont déployé un important dispositif de sécurité dans l’archipel par crainte de nouvelles tensions liées au 24 septembre, date de la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France en 1853, considérée par les indépendantistes comme le jour du deuil du peuple kanak.

Actuellement, 2 770 policiers et gendarmes sont sur le terrain. Gendarmes qui sont en grande partie des mobiles, déployés pour trois mois, et parfois très jeunes. Un point que n’a pas manqué de relever le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) (...)

« Placés dans un environnement qu’ils ne comprennent pas, ils projettent leurs propres représentations, se croyant dans les cités métropolitaines, et réagissent dans la panique, avec des réflexes inadaptés. Le drame de Plum en est une tragique illustration. » Selon plusieurs sources, le gendarme qui a tiré serait arrivé trois jours plus tôt dans l’archipel. (...)

Quand ce n’est pas le statut judiciaire de l’auteur qui pose question aux familles, ce sont d’interminables délais qui éreintent leurs espoirs d’obtenir un jour justice. (...)

En principe, les familles peuvent saisir directement un juge d’instruction, en se portant parties civiles. Mais il leur faudrait alors verser une consignation en plus de frais d’avocats déjà très élevés pour des personnes qui ont pour point commun d’être très modestes.

Quant aux peines prononcées par le tribunal de Nouméa, elles ne sont pas pour les rassurer. Mardi 23 septembre, un jeune de Saint-Louis a été condamné à trois ans de prison ferme pour avoir jeté un caillou sur un gendarme. Jugé le même jour, un habitant de la commune rurale de Boulouparis, qui avait tiré dans la fesse d’un jeune Kanak sur fond d’insultes mutuelles, s’en est, lui, sorti avec douze mois de prison avec sursis.