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Mediapart
L’évasion fiscale suisse des géants français du matériel électrique
Article mis en ligne le 22 juin 2022

Les premiers distributeurs mondiaux du matériel électrique Sonepar et Rexel ont créé de discrètes sociétés suisses pour toucher de l’argent des industriels, dont Schneider et Legrand. La justice soupçonne un lien avec l’entente présumée sur les prix mise en place par ces entreprises.

Avec son porche prétentieux et son architecture fadasse, le Geneva Business Center de Lancy est un nid à multinationales typique de l’agglomération genevoise. Mais le 6 septembre 2018, le bâtiment a reçu une visite inhabituelle. La juge d’instruction française Aude Buresi, accompagnée de représentants des autorités suisses, a perquisitionné l’un des locataires : la société Sonepar International Services (SIS), filiale du groupe français Sonepar, mastodonte de la distribution de matériel électrique, qui réalise 22 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

Le même jour, une série de perquisitions était menée en France dans la même affaire qui vise quatre géants français du secteur : les fabricants de matériel électrique Schneider (numéro 2 mondial) et Legrand, ainsi que leurs distributeurs Sonepar et Rexel, respectivement numéro 1 et numéro 2 mondiaux. (...)

L’information judiciaire porte sur un vaste système présumé d’« entente illicite » sur les prix destiné à limiter la concurrence, révélé par Mediapart. Mais aussi sur d’autres délits qui avaient été signalés au parquet de Paris par l’Agence française anticorruption (AFA) : « faux et usage de faux », « abus de confiance », « abus de biens sociaux », « corruption » et « blanchiment de fraude fiscale ». (...)

Selon nos informations, ces structures suisses de Sonepar et de Rexel ont négocié un « ruling », c’est-à-dire un accord fiscal qui leur a permis de bénéficier d’un taux d’imposition sur les bénéfices compris entre 11 et 14 %, soit près de trois fois moins que le taux de 33 % applicable en France jusqu’en 2021. Grâce à ce système, Sonepar a économisé plus de cent millions d’euros d’impôts, selon une estimation de Mediapart. (...)

« Il existe des raisons sérieuses de soupçonner que les délits de fraude fiscale et de son blanchiment sont ainsi constitués », écrivait pour sa part l’AFA dans son signalement au parquet. (...)

La juge Buresi soupçonne par ailleurs que les prestations vendues par SIS aux fabricants comme Schneider et Legrand pourraient être surfacturées. Et qu’elles pourraient constituer une récompense versée à Sonepar « pour sa participation à une entente verticale », c’est-à-dire au cartel présumé révélé par Mediapart et visé par l’enquête judiciaire.

L’Agence française anticorruption écrit elle aussi que « les montants importants prévus dans ces contrats, plus de 12 millions par an pour Schneider, pourraient paraître disproportionnés au regard du service apporté d’analyse des ventes ».

Lorsque l’AFA a réclamé, lors de son contrôle, les contrats passés par SIS avec Schneider et Legrand, la patronne de Sonepar, Marie-Christine Coisne-Roquette, a obstinément refusé de les donner. Mais la justice a fini par mettre la main sur ces documents, qui contiennent des éléments troublants. (...)

Autre fait troublant : plusieurs de ces contrats sont rétroactifs. (...)

Contactés à ce sujet, les protagonistes se sont refusés à tout commentaire. Schneider et Legrand se bornent à répondre qu’ils agissent « de manière éthique et responsable » et « dans le strict respect de la législation et de la réglementation en vigueur ».