
Au-delà des débats sur les rôles respectifs de Mikhaïl Gorbatchev et de Boris Eltsine dans le processus de démocratisation du pays, on peut dire que la fin des années 80 a donné naissance à une génération capable de penser et d’agir assez librement pour briser la chape de l’autoritarisme.
Le point de vue qui commence à s’imposer à l’heure actuelle est que Gorbatchev a "procédé à de vraies réformes, progressivement, il a donné aux gens une réelle liberté, organisé les premières élections libres", puis qu’est arrivé "l’ambitieux Eltsine qui a voulu s’emparer du pouvoir" et a "tout gâché". Pour moi comme pour beaucoup de gens que je connais, pour nous qui vivions dans l’URSS de la fin des années 80 et nous souvenons bien de cette époque, cette opinion désormais en vogue est difficile à accepter. Nous nous rappelons à quel point le charme du Gorbatchev des tout débuts de la perestroïka s’était vite évanoui, remplacé par une profonde lassitude face à ses tergiversations, hésitations et erreurs. Nous revoyons ces fameuses "premières élections libres" des députés soviétiques, en 1989, où la majorité des sièges avait été attribuée par le biais du parti communiste. Elles avaient porté Boris Eltsine au Soviet suprême, lui qui avait obtenu 92% des voix dans sa circonscription de Moscou. Pour nous, cette "démocratie dirigée" façon Gorbatchev avait été une insulte pure et simple. (...)
Nous n’avons pas oublié comment Gorbatchev, en dépit de nos attentes, n’avait pu se résoudre à instaurer un scrutin universel direct pour l’élection au poste de président de l’URSS, et s’était fait élire, "exceptionnellement", par le Congrès des députés du peuple en mars 1990. Cela a sans doute été une de ses pires erreurs, qui a achevé de discréditer l’URSS.(...)
Les 80 ans de Mikhaïl Gorbatchev sont une occasion de réconcilier les tenants de ces deux points de vue. Les vingt années écoulées ont permis de mieux prendre conscience de l’ampleur des bouleversements dramatiques et essentiels que notre pays a connus. En voyant la Chine ou Cuba, on réalise que l’évolution des libertés politiques et civiles en Russie n’était pas tracée d’avance.(...)
nous sommes aujourd’hui libres d’agir à notre guise, et nous fichons pas mal de l’avis des dirigeants autoritaires provisoires actuels aux crânes dégarnis. Le mérite en revient avant tout à Mikhaïl Gorbatchev. Je dois même dire que notre Histoire a vu peu de personnalités d’une telle envergure, qui ont joué un rôle d’une telle importance. Ces paroles sont d’autant plus notables qu’elles émanent d’un vieux partisan de Boris Eltsine qui avait toujours considéré Gorbatchev avec scepticisme. (...)
les 30-50 ans (qu’on peut clairement appeler la génération de la perestroïka) sont ceux qui se sentent le plus concernés par le présent et l’avenir du pays. Cette tranche d’âge rassemble la plus forte concentration de personnes porteuses d’initiatives, responsables, dotées d’une vision claire et indépendante des choses. C’est cette génération-là, et malheureusement pas la jeunesse, qui joue un rôle décisif dans le développement économique du pays, maintient l’esprit d’entreprise et l’envie de créer, malgré toutes les difficultés de notre réalité autoritaire. Il est très probable que ce soit cette même génération qui, dans la prochaine décennie, soit le moteur de la plupart des changements positifs du pays. (...)
L’esprit, toujours actif, de la génération de la perestroïka, ces gens qui n’ont pas perdu espoir quoi qu’il ait pu arriver, est sans doute le principal résultat du passage de Gorbatchev au pouvoir. Cet esprit encore vivant un quart de siècle plus tard parvient à briser la chape de l’autoritarisme. (...)