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L’arrivée du bio va chambouler la restauration collective
Article mis en ligne le 10 avril 2017
dernière modification le 6 avril 2017

En 2020, 40 % des produits utilisés dans la restauration collective devront provenir de filières durables, dont 20 % de produits bio. Sur le terrain, cette législation n’est pas simple à mettre en œuvre, mais certaines villes, comme Rennes, défrichent la voie. La condition du succès : une vraie volonté politique.

En novembre dernier, les députés ont voté pour qu’à partir de 2020, l’alimentation dans la restauration collective, cantines scolaires, hôpitaux, maisons de retraite, comporte 40 % de produits issus de filière durable, dont 20 % de produits bio. Cela va impliquer de grands changements sur le terrain.

À la cuisine centrale du centre hospitalier de Chinon (Indre-et-Loire), Pascal Bodin est le chef d’orchestre. Il doit s’assurer que près de 2.000 repas soient préparés chaque jour en fonction de sept menus différents, allant du régime sans sel à celui sans matière grasse, sans oublier les repas qui doivent être de texture molle pour les personnes ayant des problèmes de déglutition. À cela s’ajoute un budget de moins de deux euros par plateau et un personnel qui n’est pas extensible. « Nous faisons partie d’un groupement d’une centaine de cuisines centrales qui achètent ensemble les produits. Le plus souvent, seuls les gros fournisseurs sont en capacité de répondre à une telle demande. »

Dans trois ans, il sera dans l’obligation de se fournir en produits durables, labellisés et/ou bio : « On attend de voir, explique Pascal Bodin. À l’heure actuelle, nous ne sommes pas en mesure d’aller chercher des producteurs locaux capables de nous fournir. » (...)

Le patron de cette cuisine centrale ne cache pas son scepticisme quant à la pertinence des labellisations AB. En revanche, ce qui l’intéresserait serait de pouvoir se fournir via l’économie locale, en pommes par exemple. « Mais je ne vois pas comment trouver les producteurs capables de suivre notre rythme et notre cahier des charges. » D’autant plus que démarcher des producteurs, leur expliquer les contraintes d’une cuisine centrale pour qu’ils se positionnent sur ses appels d’offres est un travail important, pour lequel aucun budget ni personnel n’est aujourd’hui prévu. (...)

ce n’est pas une mince affaire tant ce marché est exigeant et tant les prix payés par les cantines sont faibles, certes compensés par le volume.

Rennes fait partie de ces villes qui ont décidé de prendre ces questions à bras-le-corps grâce à un plan alimentation durable et la mise en place de filières de qualité. En 2009, le conseil municipal avait voté une délibération pour bannir les OGM des produits fournis dans la restauration collective municipale. En 2015, un premier marché était conclu entre la collectivité et des agriculteurs locaux impliqués dans la préservation de la qualité de l’eau. (...)

Ce dispositif fait partie de l’arsenal d’outils imaginés pour concilier les règles des marchés publics qui exigent une libre concurrence et les objectifs de Rennes de s’approvisionner en produits de qualité et de faire vivre l’économie locale. En effet, la règlementation des marchés publics interdit de rédiger un cahier des charges où le critère de l’implantation locale soit mentionné, parce qu’il s’agirait d’une distorsion de concurrence.

La tactique réside alors dans un partenariat entre la régie publique de la gestion de l’eau locale, Eau du bassin rennais, et des agriculteurs pour garantir la qualité de l’eau. Ensuite est rédigée dans le cahier des charges de la restauration collective rennaise l’exigence d’acheter des « denrées alimentaires préservant la qualité de l’eau ». Cet exemple, présenté au Sénat en février 2016 fait partie des acrobaties nécessaires pour résoudre l’équation. (...)

« Aujourd’hui, nous sommes à 15 % en bio et à 80 % en durable. Le pain et les produits laitiers sont tous en bio ; en revanche, nous avons du mal à trouver des fournisseurs en volaille et porc sans OGM. » En ce qui concerne les produits secs, comme le riz, c’est le réseau Biocoop qui fournit les denrées.

Dans la complexe logistique d’une cuisine centrale comme celle de Rennes, qui fournit près de 12.000 repas par jour, il est plus simple d’introduire un produit bio à la fois toute l’année, que de préparer un repas 100 % bio une fois par mois. (...)

Pour un producteur, jamais à l’abri d’un coup de gel ou de sécheresse, être en capacité de fournir des volumes aussi importants n’est pas une mince affaire, et une rupture d’approvisionnement en cuisine est simplement inconcevable, « c’est pour cela que pour chaque produit, nous faisons deux lots dans nos appels d’offres, l’un en bio, l’autre en non-bio. Le second servira de plan B en cas de défaillance du premier », explique Nadège Noisette. (...)

« Avec le recyclage, le lait n’est plus conditionné en Cubi mais en bidons, qu’il nous faut ensuite nettoyer et renvoyer au producteur. Et c’est la même chose pour de plus en de plus de produits. Pour nous, ça veut dire plus de manutention à effectif constant. » Thierry Deniel, patron de la cuisine centrale municipale, explique que certaines tâches ne peuvent pas être prises en charge par son personnel : « Nous n’avons pas le temps ni le personnel pour éplucher les légumes, par exemple, ou les pommes de terre, du coup, nous recevons des carottes râpées sous vide, même chose pour les patates. »

« L’éducation au goût des enfants » (...)

Un autre volet majeur de la restauration collective se caractérise par le gaspillage : près de 22 % des repas finissent à la poubelle. « Nous avons testé des systèmes de self service, ça marche bien, on arrive à 5 % de gaspillage, explique Nadège Noisette. Un autre aspect est l’éducation au goût des enfants. Si on prend le poulet Label rouge que nous utilisons, il est d’une chair plus ferme que le poulet conventionnel, qui se désosse tout seul. Les enfants n’y sont pas habitués. Il nous faut les accompagner. » (...)

Mais tout cet arsenal d’outils a un coût humain, que ce soit pour animer des ateliers auprès des enfants, pour éplucher les légumes, ou pour la manutention à la réception des aliments, mais aussi du temps de démarchage, d’accompagnement et de négociations avec les producteurs.

La ville de Rennes consacre 4 millions d’euros chaque année à l’achat de denrées alimentaires. Son plan alimentation durable lui a aussi permis de bénéficier d’une enveloppe de 40.000 euros du ministère de l’Agriculture : de quoi financer un poste chargé d’impliquer deux structures d’animation vers les enfants et deux autres pour la structuration de filières agricoles durables et/ou bio prêtes à se lancer dans le secteur de la restauration collective.

« Solliciter les élus, mais aussi contacter les plateformes logistiques de son territoire » (...)