
La manière erronée, ou pour le moins simplificatrice, dont l’agriculture biologique est présentée dans la plupart des médias, des encyclopédies en ligne ou des textes institutionnels, conduit à un fréquent malentendu à propos des pesticides. Il n’est hélas pas étonnant que ce malentendu soit instrumentalisé par les acteurs de l’agro-industrie, qui se délectent à accuser l’agriculture biologique d’utiliser des pesticides dangereux. Pour comprendre la situation réelle, il faut se pencher sur les caractéristiques des pesticides, et distinguer autorisation et utilisation.
Quel est le but de l’agriculture biologique ?
Les habitué·e·s de ce blog ont compris que la définition courante de l’agriculture biologique est problématique, car basée sur l’idée fausse qu’il y aurait une agriculture universelle qui serait « avec ou sans chimie », « intensive ou extensive », « industrielle ou paysanne », etc. Depuis 40 ans, des enseignants formés selon une approche réductionniste et découvrant la bio de l’extérieur, des lobbyistes ayant intérêt à nier la diversité agronomique des agricultures, des encyclopédistes que ce sujet dépasse (personne n’est expert en tout), des ministres totalement formatés, et j’en passe, propagent inlassablement l’idée que l’agriculture biologique se définirait comme une agriculture sans produits chimiques de synthèse.
Cette caractéristique n’est pas fausse, mais en faire la définition de la bio est du même ressort que de définir un livre comme un assemblage de feuilles de papier. Cela revient à définir un objet à partir d’un détail, exact mais factuel, au lieu d’en expliquer le but et l’usage. Cette désinvolture provient d’un ethnocentrisme : cette définition est celle d’un règlement européen récent (1991, soit plus d’un demi-siècle après l’invention de la bio) et ultra-limité dans l’espace (l’Union européenne). Réveillez-vous ! La bio est très antérieure à 1991, elle est présente dans le monde entier, et ce règlement européen réducteur n’est lui-même qu’éphémère, il est le résultat de jeux d’influence politiques et économiques complexes qui peuvent changer demain.
J’ai expliqué ailleurs (voir mes livres et les autres billets de ce blog) qu’il n’existe pas une agriculture dont les caractéristiques secondaires pourraient varier de façon binaire, mais des agricultures dont les fondements agronomiques sont radicalement différents. L’agriculture biologique ayant été conçue à une époque précise par des personnes précises dans des livres précis, il ne peut y avoir aucune controverse : sa définition originelle est la volonté de construire un organisme agricole, dans une démarche systémique ou holistique, remettant en lien les écosystèmes, les agrosystèmes et les humains. C’est un fait historique, celui de son invention explicite par Ehrenfried Pfeiffer et Sir Albert Howard, dans deux livres parus en 1938 et 1940 1. Oui, cette nouvelle démarche agricole s’interdit factuellement les produits chimiques de synthèse, mais ce n’est absolument pas son but : c’est un moyen pour atteindre le but, à savoir la construction d’organismes agricoles résilients. (...)