
Qu’est-ce que l’acceptabilité sociale ? Depuis quelques années, cette expression est invoquée autour des grands projets d’infrastructures. Mais ce concept managérial constitue un piège pour les citoyens-nes et l’environnement.
Pour le secteur privé, et son partenaire gouvernemental, la résistance citoyenne aux projets de développement industriel est perçue comme un problème. C’est qu’on assiste souvent à des manifestations, à toutes sortes d’actions spectaculaires et médiatisées, à des conférences de presse et, parfois, comme dans le cas des gaz de schiste, à la menace d’actions directes. Cette dernière crée de l’incertitude chez les investisseurs - particulièrement dangereuse lorsque le projet est déjà risqué.
Le Conseil du patronat en environnement reconnaît cela dans son Guide de bonnes pratiques afin de favoriser l’acceptabilité sociale des projets que : « la dichotomie entre la croissance nécessaire [sic] et le développement contesté se manifeste de plus en plus ».
Dans un véritable chef-d’oeuvre de dissonance cognitive, le Conseil estime que « l’acceptabilité sociale émerge maintenant en tant qu’enjeu majeur du XXIe siècle car les promoteurs de projets, comme les gouvernements d’ailleurs, reconnaissent les répercussions qu’un problème d’acceptabilité sociale peut engendrer pour leur réputation, pour le succès des projets et le développement économique ».
LesAffaires.com renchérit en reconnaissant que « l’actualité nous fait prendre conscience que récemment, plusieurs grands projets ont fait les frais d’une forte mobilisation citoyenne ». (...)
Contrairement aux principes des droits humains qui définissent très clairement les conditions de l’autodétermination d’une communauté (par exemple, la notion de consentement, libre et éclairé), l’acceptabilité sociale est un concept plutôt malléable.
Elle désigne simultanément deux choses radicalement différentes : d’une part, la perception du (non) consentement de la population (locale) sur un projet d’exploitation de ressources naturelles, et d’autre part, une démarche de relation publique visant à « manufacturer le consentement » et alimenter les divisions dans la communauté afin de désarmer l’opposition. (...)
Le processus, dans sa forme la plus accomplie, doit être planifié à l’avance et s’échelonner à long terme, voire sur plusieurs années. Une vaste campagne de communication s’amorce alors, avec du matériel publicitaire, des présentations publiques, l’embauche de lobbyistes, etc. (...)
Psychologiquement, c’est efficace. La communauté visée par l’opération de charme a l’illusion d’avoir participé à un processus de prise de décision - alors qu’elle n’a jamais eu de pouvoir effectif, par exemple de vote. Ce n’est pas un processus décisionnel, mais bien un spectacle où on joue sur la compassion, l’empathie. On a donné le micro au citoyen-ne, et on a fait semblant de l’écouter. Pour plusieurs, c’est suffisant pour aller se rasseoir, et le conflit s’en trouve désamorcé. (...)
Dans notre « démocratie représentative », une fois au pouvoir le parti élu a carte blanche pour faire absolument n’importe quoi, et nous n’avons finalement pas de pouvoir effectif, autre que celui que l’on prend : dans la rue, en résistant, en protestant, en érigeant des barricades et en s’organisant de façon horizontale.
L’exercice sordide aura au moins révélé quelque chose de positif : les grandes, les puissantes et prétendues invincibles corporations ont peur de quelque chose.
Et cette chose, c’est notre autonomie.