
Lutter de manière révolutionnaire sur tous les fronts » : tel était le mot d’ordre de bell hooks tandis qu’on annonçait, il y a près de trente ans, « la fin de l’Histoire » et le triomphe planétaire du libéralisme. Née dans le Kentucky au sein d’une famille afro-américaine de la classe ouvrière, celle qui a emprunté son nom de plume à sa grand-mère publia son premier ouvrage — de poésie — en 1978. Depuis, comme enseignante, militante et essayiste, bell hooks s’échine à penser la multiplicité des oppressions à l’œuvre dans nos sociétés. C’est donc en « partisane du socialisme démocratique » qu’elle s’avance et invite à démanteler le racisme, le patriarcat et le mode de production capitaliste. « Ne regardons pas ces choses séparément. Regardons comment elles convergent. » Une porte d’entrée en vingt-six lettres.
Analyses : « Les analyses féministes du statut de la femme ont tendance à se concentrer uniquement sur le genre et ne proposent pas de base solide sur laquelle construire de la théorie féministe. Elles reflètent la tendance dominante de la pensée patriarcale occidentale à mystifier la réalité de la femme en insistant sur le genre comme seul déterminant du destin d’une femme. » (De la marge au centre : théorie féministe, Cambourakis, 2017 [1984])
Blanches : « De nombreuses femmes blanches ont trouvé dans le mouvement des femmes une façon de se libérer de leurs dilemmes personnels. Du fait d’avoir directement bénéficié du mouvement, elles sont peu enclines à le critiquer ou à s’engager dans une analyse rigoureuse de sa structure, contrairement aux femmes pour qui il n’a pas eu d’impact révolutionnaire, que ce soit par rapport à leur vie personnelle ou à celle de la majorité des femmes dans notre société. » (De la marge au centre : théorie féministe, Cambourakis, 2017 [1984])
Contre-courant : « Une part du cœur de l’anarchie est d’oser aller à contre-courant des manières conventionnelles de penser nos réalités. Les anarchistes sont toujours allés à contre-courant, et ça a été un lieu d’espoir. » (Entretien paru dans le numéro 15 de la revue Northeastern Anarchist, en 2011 [nous traduisons])
Dignité : « Condamner le travail domestique comme étant ingrat ne rend pas à la ménagère la fierté et la dignité au travail dont elle est privée par la dévalorisation patriarcale. » (Ne suis-je pas une femme ?, Cambourakis, 2015 [1981])
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Gouverner : « Le patriarcat est un système politico-social qui insiste sur le fait que les mâles sont intrinsèquement dominants, supérieurs à tout et à tous ceux considérés faibles, en particulier les femelles, et qu’ils sont dotés du droit de dominer et de gouverner les faibles et de maintenir cette domination par le biais de diverses formes de terrorisme psychologique et de violence. » (La Volonté de changer : les hommes, la masculinité et l’amour, Éditions Divergences, 2021 [2004])
Hommes : « Pour guérir les blessures infligées par le patriarcat, nous devons aller à leur source. Nous devons regarder les hommes directement, les yeux dans les yeux, et leur dire la vérité : le temps est venu pour eux de faire une révolution des valeurs. On ne peut pas à la fois détourner son cœur des garçons et des hommes, et se demander pourquoi la politique de la guerre continue de façonner la politique nationale et nos vies romantiques intimes. » (Ne suis-je pas une femme ?, Cambourakis, 2015 [1981])
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Inconnue en France, incontournable aux Etats-Unis, qui est bell hooks ?
« Lorsque le mouvement des femmes battait son plein et que les femmes blanches rejetaient le rôle de reproductrice, de bête de somme et d’objet sexuel, les femmes noires étaient célébrées pour leur dévouement inégalé à leur rôle de "mère", pour leur capacité "innée" à porter d’énormes fardeaux et pour leur disponibilité toujours plus grande en tant qu’objet sexuel. Il semblait que nous avions été élues à l’unanimité pour prendre en charge les tâches que les femmes blanches refusaient d’effectuer. »
Revenant sur la double discrimination que subissent les femmes noires –en tant que femmes, et en tant que noires : l’intersectionnalité, comme la définira l’universitaire féministe américaine Kimberlé Crenshaw en 1989– la jeune bell hooks, alors à peine âgée de 19 ans, et qui s’appelle encore Gloria Jean Watkins écrit : Ne suis-je pas une femme ? Femmes noires et féminisme en 1971. Le livre ne sera publié qu’en 1981 sous son nom de plume, qu’elle choisit en l’honneur de sa grand-mère Bell Blair Hooks, et sans majuscule, pour montrer que ce qui compte n’est pas son identité mais la « substance » de son oeuvre. L’ouvrage deviendra incontournable pour la pensée féministe moderne.
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Comment se situer dans un système, quand les différences ne sont pas nommées ?
Comment se situer dans un système, quand les différences ne sont pas nommées ? Quand on baigne dans le mythe d’une égalité déjà présente ? Cette spécificité française participerait à la difficulté de pénétration des idées de bell hooks et des afroféministes américaines, et à l’implantation d’un mouvement afroféministe français.
#bellhooks Une grande féministe est partie aujourd’hui . Merci pour vos écrits révolutionnaires . Quelle tristesse #RIP pic.twitter.com/lRfnLrDLsv
— Nadege B.Diagne (@NBeausson) December 15, 2021