Au moment où la crise du coronavirus conduit à exacerber les concurrences interétatiques et à encourager le repli sur eux-mêmes des États-Nations, quel rôle peuvent jouer les Nations unies, à travers l’Organisation mondiale de la santé ?L’OMS dans le maelstrom du covid-19
Lors de chaque épidémie, qui plus est lorsque celle-ci est d’ampleur mondiale et touche les pays développés, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) se retrouve sous les feux des projecteurs, ce qui est logique. En effet, l’une des missions les plus importantes de l’OMS porte sur la surveillance des maladies infectieuses et la coordination de la réponse internationale en cas d’épidémie. Son action lors de ces épisodes est scrutée attentivement, et par conséquent très souvent critiquée, alors même qu’elle est généralement oubliée le reste du temps.
En 1996, l’OMS avait perdu la coordination internationale de la réponse à la pandémie de Vih/Sida, alors confiée à une organisation dédiée, l’ONUSIDA, jugée mieux à même d’apporter la réponse multisectorielle (incluant les aspects économiques, de droits de l’homme, de genre, etc.) nécessaire. En 2003, l’OMS avait été critiquée pour avoir tardé à prouver qu’une épidémie de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) était en cours, en raison de la dissimulation des autorités chinoises des premiers cas (une alerte internationale ne fut lancée qu’en mars 2003, alors que des rumeurs sur les premiers malades avaient été repérées dès novembre 2002). Dans le cas du H1N1 en 2009, il avait été reproché à l’OMS d’avoir déclaré une pandémie de grippe H1N1 trop rapidement, provoquant l’achat par les États de millions de doses de vaccins finalement inutiles, le virus s’étant avéré peu virulent. En 2014, lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, l’OMS fut à l’inverse accusée d’avoir déclaré une situation d’urgence internationale trop tardivement, en août, reconnaissant que le nombre de cas avait jusqu’alors été largement sous-estimé (sachant que Médecins Sans Frontières alertait sur la gravité de la situation dès le printemps 2014).
Cette fois-ci, dans le cas du Covid-19, l’OMS a déclaré une situation d’urgence de santé publique internationale le 30 janvier 2020 (ce qui permet d’appeler à la mobilisation internationale), puis une pandémie le 11 mars (en raison de la hausse du nombre de cas et de pays touchés). Cette dernière annonce était attendue, tant depuis le 20 janvier et le premier « situation report » de l’OMS, le Directeur Général (DG) de l’organisation, le Dr. Tedros Adhanom Ghebreyesus (Erythrée), avait multiplié les conférences de presse, intensifiant les efforts de communication et de transparence par rapport aux précédentes épidémies pour informer sur la gravité de la situation. Soulignons également que ces dernières années le DG de l’OMS (comme d’autres experts en santé mondiale) mettait en garde la communauté internationale : « le monde n’est pas prêt pour la prochaine pandémie ». Ses avertissements les plus récents s’appuyaient notamment sur un « Rapport annuel sur l’état de préparation mondial aux situations d’urgence sanitaire » publié en septembre 2019, à peine trois mois avant la détection des premiers cas de Covid-19. (...)
À l’heure où ces lignes sont écrites, les controverses autour du rôle de l’OMS restent moins prononcées que celles autour des réponses nationales – même si, le temps passant, les interrogations se multiplient quant au rôle de l’organisation, et même si l’administration Trump, de plus en plus critiquée pour sa gestion de la crise aux États-Unis, commence à l’attaquer frontalement. (...)
Pour lutter contre les épidémies, l’OMS s’appuie sur le Règlement Sanitaire International (RSI). C’est en vertu de ce règlement que l’OMS a pu déclarer une urgence de santé publique internationale le 30 janvier dernier, et demander aux États de prendre des mesures pour lutter contre le coronavirus. Ce règlement a été adopté par les États membres de l’OMS dès 1951, qui s’engagent à le respecter afin de « prévenir la propagation internationale des maladies ». Révisé une première fois en 1969, le RSI s’est révélé inadéquat pour prendre en compte l’évolution des maladies infectieuses et les crises épidémiques qui se multiplient à partir de la fin du XXe siècle. Il a donc pour cela été réformé en profondeur en 2005, après dix ans de réflexions influencées par la crise du SRAS de 2003.
D’après le RSI, les États doivent mettre en place des mécanismes de surveillance au niveau national, et rapporter auprès de l’OMS les « événements de santé publique » (...)
Le RSI prévoit également que le Directeur Général de l’OMS puisse déclarer une situation d’urgence sanitaire internationale, qui l’habilite à formuler des recommandations et à appeler à la mobilisation l’ensemble de la communauté internationale. (...)
Le RSI prévoit enfin que les États puissent prendre des mesures hors des recommandations de l’OMS, pourvu qu’ils en informent l’organisation dans les 48h – ce qui est loin d’être le cas, puisque dans le cas des fermetures de frontières en réponse au Covid-19 par exemple, plus d’un tiers ne l’ont pas fait. (...)
Si les épidémies récentes ont fait évoluer l’OMS, une chose ne change pas : l’OMS demeure une organisation intergouvernementale, elle dispose seulement de l’autorité que ses États membres ont bien voulu lui donner. En particulier, elle doit respecter leur souveraineté et ne peut pas faire montre d’ingérence dans leurs affaires intérieures. L’OMS reste également tributaire des financements de ses États membres pour fonctionner. (...)
L’OMS est par ailleurs contrainte par les relations géopolitiques entre États, et dans le cas de la surveillance des épidémies (...)
pour s’assurer la coopération des États membres, l’OMS doit rester politiquement prudente. Le DG de l’OMS, lorsqu’il s’alarme du manque d’action ou de préparation de certains États membres refuse ainsi de les nommer se contentant d’un « Vous savez qui vous êtes » (« You know who you are ») lourd de sous-entendus. (...)
Pour obtenir la coopération des Etats membres, l’OMS fait valoir ses capacités d’expertise, et s’appuie sur les expériences passées. (...)
Tous ces éléments permettent d’éclairer la réponse de l’OMS à la crise du Covid-19, et les critiques la visant, car elle n’a pas remis en cause publiquement les déclarations de la Chine. Le Dr. Tedros préfère mettre en avant la nécessité de parvenir à des compromis, par exemple pour pouvoir envoyer une mission en Chine et mieux comprendre le virus, et la nécessité de s’assurer la coopération chinoise afin de ne pas revenir à une situation pré-2003 (car, malgré tout, la coopération s’est mieux déroulée cette année que lors du SRAS). (...)
Il est tout à fait remarquable que le projet de budget proposé par l’administration Trump en février 2020, en pleine crise du Covid-19 donc, comprenait une diminution de 58 millions de US dollars au budget de l’OMS. Ce désengagement marqué depuis l’arrivée au pouvoir de l’administration Trump peut, du point de vue des financements, être contrebalancé par le Congrès qui aux États-Unis a le pouvoir de décider du budget, mais il n’a rien de rassurant.
L’OMS marche donc sur une corde raide. De plus, elle doit réagir à des mesures de lutte contre la pandémie telles que le confinement, la surveillance par les nouvelles technologies, ou le traçage des individus grâce à leurs données personnelles, qui débordent largement du domaine sanitaire, et placent l’organisation en dehors de sa « zone de confort » scientifique et médicale. Depuis le début de la crise elle peut toutefois renvoyer la balle à ses États membres, qui se caractérisent, d’une manière générale, par leur impréparation. (...)
La pandémie de Covid-19 rappelle que les organisations internationales remplissent deux grandes fonctions : de coordination et de catalyseur de solidarité. La coordination incombe d’abord à l’OMS, c’est son rôle en cas d’épidémie comme nous l’avons vu. Le fait que l’OMS soit pour l’instant l’organisation internationale au centre du jeu est toutefois remarquable, car depuis le début du XXIe siècle, le champ de la santé mondiale est fragmenté entre de très nombreuses organisations qui viennent la concurrencer (fondations philanthropiques comme la fondation Gates, fonds verticaux comme le Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme, partenariats public-privé comme le GAVI, etc.).
Néanmoins l’OMS ressemble en ce moment à un chef d’orchestre que ses musiciens ne suivraient pas : les États mettent en œuvre leurs propres mesures en ordre dispersé et les jeux de puissances prédominent. (...)
si la quasi-totalité des États n’étaient pas suffisamment préparés pour répondre à la pandémie, ils possèdent chacun des éléments de la réponse : tel État teste des traitements, tel possède des masques, tel des lits disponibles en réanimation, tel des réactifs pour les tests, tel une expérience de gestion d’une précédente épidémie, etc. Mais pour l’instant, l’OMS n’a pas l’autorité pour jouer un véritable rôle de coordinateur global – à voir si les États acceptent de lui donner davantage de moyens par la suite. (...)
Les organisations internationales sont également un catalyseur de solidarité internationale. C’est le cas de l’OMS, dont le Directeur Général appelait dès janvier à une « triple solidarité : scientifique, financière, politique », mais aussi des Nations unies. Pour l’instant, ces dernières réagissent avec lenteur, en raison de l’incapacité du Conseil de Sécurité des Nations unies à s’accorder sur une résolution (...)
Les organisations internationales seront-elles in fine désignées comme le coupable idéal de la crise pandémique actuelle ? Le multilatéralisme a été tellement négligé ces dernières années que cela peut peut-être lui éviter d’être perçu comme la source de tous les maux, même s’il ne faut jamais sous-estimer la capacité des gouvernements à se défausser, particulièrement quand les populations affectées par la pandémie vont demander des comptes.