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Kinji Imanishi, penseur méconnu de l’interconnexion du vivant
#vivant #écosystème #Imanishi
Article mis en ligne le 28 décembre 2022

Pionnier de l’étude des « cultures animales », le naturaliste japonais Kinji Imanishi a puissamment contribué à la pensée écologiste. Une approche empathique de la nature vivante, à rebours de la culture scientifique occidentale.

L’Occident a vidé le monde de ses présences, pas seulement avec son modèle économique mais aussi avec ses mots et ses concepts. Sa vision mécanique a appauvri le réel. Ses dualismes opposant nature et culture ont légitimé la destruction du vivant. Et alors que s’est achevée la COP15, force est de constater que nous traînons un boulet conceptuel, une approche biaisée, héritière de la pensée des Modernes.

On parle abstraitement de la « biodiversité » comme d’un process à gérer. On évoque une nature extérieure à nous. On s’érige en maître du vivant. Mais le sol se dérobe sous nos pieds et nos conceptions correspondent de moins en moins à la réalité de la vie sur Terre, à son foisonnement, à son interrelation.

Dans cette période trouble, la redécouverte récente du penseur japonais Kinji Imanishi (1902-1992) peut nous apporter des clés. Méconnu en France, ce grand naturaliste, primatologue et entomologiste est un pionnier mondial de l’écologie. Sa philosophie a établi une nouvelle manière d’appréhender notre relation au vivant dès les années 1940, en porte-à-faux complet avec certaines approches occidentales et néodarwinistes.
Une éthique du soin et de l’attention

Contre une vision réductrice de l’évolution, réglée uniquement par la concurrence, les mutations génétiques et la sélection naturelle, Imanishi défend une nature source d’harmonie et de coopération. Contre un homme monade, déconnecté du monde, seul à avoir une âme, il prône l’interconnexion entre tous les êtres vivants et leur environnement. Les espèces s’emboîtent dans un grand ensemble organique, une même famille « tous liés les uns aux autres, de près ou de loin ».

Imanishi en tire une éthique du soin et de l’attention, près de 70 ans avant l’apparition des humanités écologiques sur notre continent, en France ou en Europe, avec Philippe Descola, Baptiste Morizot ou Vinciane Despret. (...)

À l’époque, Imanishi était largement ignoré de ce côté-ci du globe. Le primatologue Frans de Waal y voit les relents d’« une attitude coloniale ». « Les pays occidentaux sont incapables d’imaginer qu’un cadre méthodologique dans les sciences modernes puisse venir d’un autre continent », dit-il. (...)

L’intellectuel japonais a puisé ses inspirations autant dans les connaissances scientifiques occidentales que dans la vision animiste traditionnelle, deux approches qu’il a tâché de relier. (...)

Mais contrairement à ses collègues occidentaux, c’est au chevet de la nature qu’il a bâti ses hypothèses, et non derrière un microscope. Grand alpiniste, il a gravi plus de 1 500 sommets au Japon et ouvert plusieurs voies en Himalaya. (...)

À l’inverse du sentiment de supériorité qui domine dans les sciences occidentales, Imanishi cultive un art de l’humilité. « Nous avons le devoir d’enseigner au public que la nature ne se réduit pas à la matière, dit-il. C’est un être vivant, le corps maternel, le géant, le béhémoth au sein duquel nous avons toujours été nourris, au côté de toute la myriade des autres créatures. » (...)

Une approche à mille lieux de la science occidentale. Au même moment, les éthologues européens travaillaient sur des théories de l’instinct et les behavioristes américains récompensaient les rats qui appuyaient sur des leviers.

Or on sait aujourd’hui, qu’Imanishi avait raison. L’apprentissage culturel est très répandu, il inclut le chant des oiseaux, l’utilisation d’outils par les chimpanzés et même les techniques de chasse des baleines. (...)