L’année dernière, 20 défenseurs de l’environnement ont été assassinés au Guatemala, devenu ainsi le pays le plus dangereux pour ces activistes après la Colombie. Auprès de France 24, plusieurs d’entre eux, issus majoritairement des communautés indigènes, pointent du doigt la corruption des autorités judiciaires.
Une bruine tombait sur la ville de Guatemala le 23 octobre 2023 lorsqu’Emy Gomez a reçu la nouvelle. "Ils ont assassiné ton père", lui a annoncé son mari par téléphone. "Mon monde s’est écroulé. Mon père a été tué de trois balles dans le dos dans l’est du pays, à l’endroit même où il avait l’habitude de se balader et à quelques pas du lieu où nous avions mené notre résistance", témoigne-t-elle.
Le père, Noé Gomez, était militant écologiste. Pendant des années, il s’était battu contre le développement de l’industrie extractive dans la région de Jutiapa, dans le sud-est du Guatemala. Un engagement qui lui avait valu une longue liste d’ennemis, des pressions et des menaces à répétition. "C’étaient des menaces très sérieuses, mais nous n’avons jamais su exactement qui en était à l’origine", raconte sa fille.
L’assassinat de Noé Gomez, à 69 ans, s’est produit alors que le Guatemala était plongé dans une crise d’une ampleur inédite. En octobre 2023, des milliers de manifestants, liés notamment aux mouvements indigènes, étaient descendus dans les rues et avaient bloqué de nombreuses routes stratégiques pour exiger la démission de la procureure générale Maria Consuelo Porras. Cette dernière était accusée de vouloir empêcher le président Bernardo Arévalo, fraîchement élu, d’entrer en fonction quelques semaines plus tard. Dans cette période marquée par une atmosphère révolutionnaire et des esprits échauffés, les assassins de Noé Gomez ont choisi de le faire taire définitivement. (...)
Après son assassinat, sa famille a demandé l’asile politique aux États-Unis. Deux frères d’Emy sont partis. Elle, qui a pourtant rempli tous les dossiers, attend toujours. "Je suis là, cachée. Voilà où nous en sommes : bouche cousue, en fuite. Ils font disparaître nos proches et nous n’avons même pas le droit de parler", fustige-t-elle.
"Le système de justice a été capturé"
Le dernier rapport de l’organisation Global Witness dresse un constat alarmant. En 2024, 146 défenseurs de la terre et de l’environnement ont été assassinés dans le monde. La Colombie arrive en tête avec 48 cas. Et avec 20 cas, le Guatemala, où vivent 17 millions de personnes dont 44 % d’indigènes, prend la deuxième position, dépassant des nations bien plus peuplées comme le Mexique ou le Brésil. Proportionnellement, le Guatemala affiche ainsi le taux d’assassinats d’activistes écologistes par habitant le plus élevé au monde.
Brenda Guillén dirige l’Unité de protection des défenseurs des droits humains du Guatemala (Udefegua). Elle identifie un schéma clair : "Si on observe les 20 personnes tuées, on remarque que plusieurs se mobilisaient à travers le Comité paysan de l’Altiplano (CCDA), une organisation nationale qui travaille depuis des années sur la sécurité juridique des peuples indigènes et revendique la propriété ancestrale des territoires."
Mais au-delà de cette surreprésentation des peuples indigènes et autochtones, comment expliquer que le nombre d’assassinats d’activistes écologistes ait quintuplé entre 2023 et 2024 ? Brenda Guillén pointe du doigt le Ministère public et sa cheffe, Maria Consuelo Porras, au cœur des manifestations d’octobre 2023.
Devenue la bête noire du chef de l’État progressiste Barnardo Arévalo, celle-ci entrave presque toutes les enquêtes pour détournements de fonds ou prises illégales d’intérêts visant les grands patrons, les personnalités politiques de droite et les militaires (...)