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Ken Loach m’a tuer
Article mis en ligne le 3 novembre 2019

Comment le visionnage de Sorry we missed You, le dernier film de Ken Loach, a achevé ma bonne humeur, a tué ma soirée, m’a laissé sans énergie face au spectacle de l’effondrement de nos sociétés.

Ken Loach m’avait laissé, avec Looking for Eric (2009), La part des anges (2012) et Moi, Daniel Blake (2016), sur une note d’espoir qui nous disait que malgré l’ignoble de nos sociétés ultra-libérales, l’amour, la force du groupe, la détermination et la résistance des contre-pouvoirs offraient encore des portes de sortie vers le haut et des échappatoires. (...)

À la fin de Sorry we missed You, je reste pétrifié, comme posé sur un toboggan sans points d’arrêt plongeant dans l’abîme. Ken Loach ne m’a pas montré, cette fois-ci, la porte dérobée, pas fait sentir le courant d’air frais qui guide vers la sortie de la grotte. Il n’a pas cherché à me dire que cette fois encore il y avait des solutions, qu’on a toujours le choix. Il ne dit rien, et ce rien dit tout. Le film se termine par un écran noir, et ça se passe de commentaires.

Il n’y a pas d’issue au travail sans contrat, pas de perspective à "se rendre disponible" pour effectuer des "prestations de service" au plus offrant, même si ce plus offrant ira toujours vers le moins. Ken Loach réussit même à donner un visage et une voix humaine à ce système implacable, une voix qui dit au héros-martyr : "est-ce qu’un seul client t’a déjà demandé comment tu allais ?" ou "c’est justement toute cette colère, cette haine contre moi qui me nourrit et me pousse à ne rien lâcher". Ce qui compte c’est qu’Amazon, Apple & Co me donne des contrats, le reste c’est TON problème.

On ne sauve pas sa famille en acceptant des contrats 0h ou un statut de livreur indépendant sans liberté. On survit juste quelques mois, quelques années de plus dans ce servage moderne, avant le déclassement final, la glissade dans le trou noir du capitalisme ultralibéral. D’autres prendront notre place, toujours en pensant faire mieux, garder le contrôle, jusqu’à leur tour de plonger. (...)