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l’Humanité
Justice. Total et son monde de brut 
Article mis en ligne le 27 octobre 2020

Le groupe français laisse ses sous-traitants en Ouganda et en Tanzanie porter atteinte aux droits humains, dénoncent six organisations. Une audience a lieu, mercredi, à la cour d’appel de Versailles.

L’audience va durer une heure et demie. Cela peut paraître court, au regard de tout ce qui va s’y jouer. C’est déjà plus que ce que les plaignants avaient osé espérer. Pour eux, ce temps est précieux. Il représente une opportunité majeure de faire cesser une situation qui va de mal en pis en Ouganda et en Tanzanie. « Malgré toutes nos alertes, les choses s’aggravent », explique Maxwell Atuhura, responsable de l’association ougandaise Navoda, qui œuvre pour la défense des droits humains. « Il y a deux ans, les exactions touchaient déjà beaucoup d’habitants. Aujourd’hui, on est au-delà de beaucoup. » Le groupe français Total est mis en cause dans cette affaire. À travers elle, près de 100 000 personnes attendent de la cour d’appel de Versailles qu’elle leur garantisse les moyens de vivre. (...)

Mais ce qui va se jouer devant le tribunal va encore au-delà. L’opérationnalité à venir de la loi sur le devoir de vigilance des multinationales, qui intime aux maisons mères des sociétés françaises de rendre des comptes quant aux agissements de leurs filiales et sous-traitants partout dans le monde, a gros à y gagner – ou à y perdre. C’est la première fois, depuis 2017 qu’elle a été adoptée en France et nulle part ailleurs, qu’une action en justice l’invoque. (...)

Sur les rives du lac Albert, une manne d’hydrocarbures

Portée par six associations françaises et ougandaises, l’affaire, à elle seule, est grave. On pourrait la faire démarrer en 2006. Cette année-là, d’immenses réserves de pétrole sont découvertes sur la rive ougandaise du lac Albert. Une manne, en ces temps où les hydrocarbures deviennent inaccessibles. (...)

En 2012, Total se positionne sur plusieurs gisements. (...)

Les faits dénoncés démarrent quelques années plus tard, au moment de lancer les projets d’exploitation. Plusieurs sont envisagés, dont deux particulièrement importants. Opéré via la filiale Total E & P Uganda, celui baptisé Tilenga vise à extraire environ 200 000 barils de pétrole par jour, moyennant plus de 400 puits répartis sur 34 plateformes pétrolières. Nommé Eacop, l’autre consiste en un oléoduc long de 1 445 km, qui reliera le lac Albert au port de Tanga, en Tanzanie. Cette fois, c’est Total East Africa Midstream BV (Team) qui en est le développeur.

Bien évidemment, toutes ces structures nécessitent de dégager de l’espace, et donc de déplacer du monde : 31 000 personnes sont concernées par Tilenga, et entre 63 000 et 91 000 par Eacop, ont calculé les organisations.

Les effets en cascade décrits par les organisations sont terribles (...)

Pour orchestrer tout cela, les filiales de Total font appel à plusieurs sous-traitants. Tous sont aujourd’hui mis en cause dans leur façon de gérer les choses. (...)

En 2019, alors qu’une première phase de réinstallation est lancée, les Amis de la Terre et Survie, côté français, Navoda et trois autres structures côté ougandais réalisent une enquête de terrain, laquelle révèle des infractions majeures au respect des droits humains. Les témoignages parlent, singulièrement, d’expropriation de terres et d’interdiction de les cultiver imposées aux habitants, avant qu’ils n’aient perçu leurs indemnisations. « Beaucoup dénoncent avoir été privés de nourriture et de ressources économiques, avec, en bout de chaîne, une dégradation de leurs conditions de vie (...)

En juin 2019, elles décident de mettre Total en demeure de respecter la loi et préviennent : sans réaction de la part de la maison mère, les choses vont s’aggraver. (...)

En octobre, les PAP se voient réautorisées à planter des cultures sur leurs terres, mais seulement saisonnières, c’est-à-dire ne nécessitant pas plus de trois mois pour pousser. Inapte à subvenir à leurs besoins, dénoncent les associations, d’autant que tout, là-bas, s’organise autour du manioc, dont la maturation nécessite dix-huit mois. En octobre 2019, une plainte est déposée en bonne et due forme. Une première audience a lieu en décembre devant le tribunal judiciaire de Nanterre. Celui-ci se déclare incompétent à juger l’affaire, et la renvoie devant les tribunaux de commerce. Les organisations décideront de faire appel. (...)

Le 20 octobre dernier, elles versaient au dossier une seconde enquête, montrant que la situation s’est férocement aggravée. Surtout, « cette affaire n’a rien d’un litige commercial, martèle Maxwell Atuhura. Elle concerne une atteinte aux droits humains, et doit être examinée à ce titre. »