
Deux chapitres des Brutes en blanc étaient intitulés respectivement « Sexisme, racisme et intolérance » et « Utérus sous surveillance »… En octobre 2016, à sa publication, une bonne partie de la profession médicale (Ordre des médecins en tête) s’offusquait que mon propos « caricature » et « diffame » le comportement des médecins.
Au cours des 17 mois écoulés depuis cette publication, les enquêtes, émissions, et articles dénonçant sexisme et maltraitances (physique, morale, sexuelle) exercées par le monde médical se sont multipliés ; des livres soigneusement documentés décrivent ce que subissent les étudiant•e•s en santé (Omerta à l’Hôpital, de Valérie Auslender), les femmes qui consultent un gynécologue (Le livre noir de la gynécologie, de Mélanie Déchalotte), les femmes qui accouchent (Accouchement, les femmes méritent mieux, de Marie-Hélène Lahaye).
Dans le même temps, des Etats-Unis, nous est venu le mouvement #MeToo. Il nous a rappelé – si nous l’avions oublié – que la société française est elle aussi furieusement sexiste : les femmes le vivent dans la rue, au travail, en formation, dans le couple, en politique (comme nous le rappellent Mathilde Larrère et Aude Lorriaux dans un excellent livre), dans la presse et j’en passe. (...)
Elles vivent aussi cette violence dans tous les lieux hiérarchisés, car la hiérarchie n’est rien d’autre que la concrétisation officielle des luttes de pouvoir, et la violence sexiste se nourrit du désir de pouvoir.
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En janvier 2018, aux Etats-Unis, Larry Nassar, médecin du sport, a été condamné à 175 ans de prison pour avoir abusé sexuellement de plus de 265 femmes dans le cadre des entraînements pour les Jeux Olympiques et à l’Université du Michigan, dont il était l’employé. Plus de cent cinquante de ces femmes sont venues témoigner à son procès.
A la suite de cette condamnation, les victimes appelaient à enquêter sur les conditions dans lesquelles, alors que de nombreuses plaintes avaient été formulées depuis 1993, Nassar avait pu continuer à exercer impunément. Pour ses victimes, il ne fait aucun doute qu’un médecin prédateur sexuel ne peut faire autant de mal pendant autant d’années que s’il est soigneusement protégé par les institutions dont il fait partie – comme employé ou comme « collègue ». A la suite de cette condamnation, une pluie de plaintes en justice s’est abattue contre le comité olympique des Etats-Unis, l’Université du Michigan et les autres institutions où travaillait Nassar, pour avoir couvert ses agissements et être restées sourdes aux plaintes des victimes. Quelques jours plus tard, la présidente de l’Université du Michigan a démissionné. (...)
Vous n’avez qu’à taper « médecins viols France » dans votre moteur de recherche. Quand on sait que toutes ces affaires ne sont instruites qu’au bout de longues années, dans le silence assourdissant de l’Ordre des médecins, on est en droit de se dire que la France ne vaut pas mieux que les Etats-Unis.
Et les viols ne sont que la partie visible de l’iceberg.
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Que les femmes vivent dans le monde médical la même violence que dans le reste de la société, ce n’est guère étonnant. (...)
En médecine, les abus de pouvoir sont aussi des abus de confiance ; en ce sens, les agresssions sexuelles perpétrées par des médecins ne sont pas différentes de celles des prêtres, des enseignants, des agents des forces de l’ordre ou des « soldats de la paix ».
Un médecin est une personne de confiance. Quand cette personne de confiance abuse d’un•e patient•e, sous quelque forme que ce soit, elle trahit sa mission et n’est plus digne de respect.
L’un des hauts lieux de la violence médicale sexiste est, sans équivoque, la salle d’accouchement. En ce moment, des articles et enquêtes sur les violences obstétricales sont publiées chaque semaine. (...)
Il ne suffit pas en effet de dire « Je ne fais pas partie des médecins qui maltraitent ». Il ne suffit pas de dire « les pratiques violentes sont minoritaires ». Il ne suffit pas de dire « C’est les autres, c’est pas moi ». Il ne suffit pas non plus de se taire.
De même que les hommes qui respectent les femmes doivent se déclarer clairement solidaires du combat contre les violences sexistes, les médecins qui tiennent à honorer leur profession doivent s’insurger et dénoncer ouvertement toutes les pratiques médicales sexistes et maltraitantes.
Un délit, un crime doivent être punis. Pour cela, il faut que la victime puisse s’exprimer et être entendue, et surtout que sa voix compte autant que celle de l’accusé.e. (...)
Certes, il y a partout en France des soignant•e•s de bonne volonté qui oeuvrent avec acharnement pour délivrer un enseignement et des soins sans préjugés. Mais il faudra beaucoup de temps avant que, dans toutes les facultés de médecine, la formation médicale soit fondée sans équivoque sur le respect des patient•e•s et des autres professionnel•le•s ; il faudra beaucoup de temps pour que le sexisme soit banni des cours d’amphithéâtre et des propos de couloir ; il faudra beaucoup de temps, aussi, pour que la « norme » de l’enseignement consiste à former des médecins qui éclairent et soutiennent sans préjugé, jugement ni pression les décisions des patient•e•s. Il faudra encore plus de temps pour que des institutions aussi momifiées que le CNGOF ou l’Ordre des médecins exercent des sanctions rapides et sans équivoque quand des violences sexistes sont commises par des membres de la profession.
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Les institutions mettent du temps à changer. Les individus, en revanche, sont capables de changer rapidement la donne pour les patientes maltraitées : en ouvrant les yeux et les oreilles, et en énonçant clairement quelles valeurs leur tiennent à coeur. Car l’immobilisme des institutions ou des groupes d’intérêt ne justifie pas que les individus se tournent les pouces. Ou restent "neutres".
Chaque médecin se devrait de réfléchir à son rôle et à ses relations avec les individus qu’ille* est censé•e soigner. (...)
Lorsqu’on est médecin, il n’est pas acceptable de ménager la chèvre et le chou, d’être solidaire des femmes quand elles subissent des violences au travail ou chez elle mais d’émettre des réserves quand les accusations de violence portent sur les actes d’un autre médecin.
Face aux violences sexistes du monde médical, il ne suffit pas, quand on est médecin, de dire « Ce n’est pas ma pratique », de se défendre en disant "Je ne savais pas", de se réconforter en pensant « Mais moi, je suis bienveillant•e », de suggérer que les patientes n’ont "pas bien compris" et de "laisser le bénéfice du doute" aux médecins soupçonnés d’avoir abusé de leur statut.
Il n’est pas acceptable de se taire par « confraternité ». (...)
Il est temps pour chaque médecin de dire clairement "Je soutiens les femmes victimes du sexisme médical", ou "Je préfère continuer à fermer les yeux".
Il est temps de s’avancer pour que la population sache quels médecins sont, ouvertement, sans équivoque, les allié•e•s inconditionnel•le•s des femmes et lesquels, par leur silence, restent complices des agresseurs.
#JeNeSeraiPasComplice