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Mediapart
Industrie française : l’attractivité de la rente
Article mis en ligne le 20 janvier 2022

Accusé d’être le fossoyeur de l’industrie, Emmanuel Macron entend contre-attaquer : grâce à sa politique, la France aurait retrouvé son attrait pour les investisseurs étrangers. Mais il confond compétitivité-prix et attractivité, qui repose sur des écosystèmes détruits systématiquement par le gouvernement au profit d’un capitalisme de rente.

(...) Emmanuel Macron a donc décidé de recevoir le 17 janvier à l’Élysée le directeur général du groupe américain Eastman, Mark Costa, qui a promis d’investir 850 millions d’euros dans la construction d’une usine de recyclage moléculaire pour les plastiques et d’y créer 350 emplois.

Dans l’après-midi, il s’est rendu à Chalampé (Haut-Rhin) pour la construction future d’une usine de production d’hexaméthylènediamine (HMD), un composant entrant dans la fabrication du nylon par le groupe chimique allemand BASF. Le projet représente un investissement de 300 millions d’euros et devrait permettre la création d’une cinquantaine d’emplois. (...)

Ces mises en exergue n’ont qu’un but : casser son image de fossoyeur de l’industrie, après les désastres d’Alstom, Technip et Nokia notamment. Et montrer en retour que la réindustralisation de la France, appelée à devenir l’un des grands thèmes économiques de la campagne présidentielle, est bien en marche.

À l’appui du propos, la mission « Choose France », destinée à promouvoir l’attractivité de la France, met en avant 21 projets, dont les deux vantés par le président. L’ensemble de ces dossiers, fanfaronne l’organisme, représente plus de 4 milliards d’euros d’investissement dans des secteurs de la santé, l’agroalimentaire, le numérique. Ils devraient, selon les chiffres avancés, contribuer à la création de 10 000 emplois. (...)

Ces chiffres sont censés impressionner. Le pouvoir veut y voir les premiers bénéfices d’une politique qui aurait contribué à redresser l’attractivité de la France. Mais que pèsent-ils par rapport à l’effort public et collectif consenti depuis des années pour attirer des investisseurs étrangers ? Et est-ce vraiment la bonne stratégie ?
L’attrait de l’argent public

Comme souvent, l’État a mis la main à la poche pour soutenir les usines tant vantées par le président (...)

(...prix défiant toute concurrence, aménagement des terrains et des voies d’accès, prêts participatifs, effacement des dettes fiscales et sociales, exonérations diverses) apportées par les collectivités locales et régionales.

Des sommes souvent cachées dont on découvre l’importance souvent lors de plans sociaux quand certaines collectivités en demandent le remboursement. Cela a été le cas lors de la fermeture de l’usine Ford à Blanquefort (Gironde). On découvrit alors que l’État, la région et les collectivités avaient financé l’essentiel des 125 millions d’euros d’investissement en 2013 pour y maintenir l’activité et un millier d’emplois. La donne n’a pas changé depuis : il y a toujours un grand attrait des investisseurs étrangers pour l’argent public en France. (...)

À tout cela convient-il également d’ajouter l’allégement de la fiscalité pour les expatriés étrangers – une mesure destinée à attirer les banques et le monde de la finance –, les réformes successives du Code du travail, du financement de la protection sociale et du chômage. (...)

Pour quel bilan ? La Banque de France, grande adepte des « réformes structurelles », dit que la France a retrouvé une partie de son attractivité depuis 2015. L’économiste Daniel Cohen, vice-président de l’École d’économie de Paris, interrogé par Le Monde, se montre beaucoup plus circonspect : « Emmanuel Macron a poursuivi Ia politique de l’offre démarrée sous François Hollande, mais il est très difficile d’en mesurer l’effet en matière d’attractivité et d’investissements étrangers. »

Une constante dans la politique du gouvernement : cinq ans après, il est incapable de prouver l’efficacité de la suppression de l’impôt sur la fortune. Les quatre milliards d’euros d’allégement accordés aux plus fortunés devaient servir à soutenir l’investissement productif. Même France Stratégie n’a pas réussi à en retrouver la trace.

Dans le cas de l’attractivité de la France, cette fois c’est l’OCDE qui peine à tracer les effets de la politique du gouvernement. (...)

Si la désindustrialisation a été stoppée en France ces dernières années, la place de l’industrie dans l’économie reste affligeante. Sa part dans l’économie ne dépasse pas les 11 % du PIB contre 18 % en Italie, 25 % en Allemagne. Seuls le Luxembourg, Chypre et Malte affichent des taux d’industrialisation plus bas que nous. Une performance. (...)

Là se trouve la cause de notre appauvrissement économique. Et la tendance sera dure à inverser. Car dans sa politique censée être de reconquête, le gouvernement fait le choix de ne miser que sur la compétitivité-prix. Abaisser la fiscalité, réduire les charges et diminuer les contraintes sont devenus les matrices d’une désinflation interne qui ne dit pas son nom, et qui tarde à prouver sa pertinence. (...)

Car l’attractivité d’un territoire ne se résume pas à la seule compétitivité par les coûts. C’est un écosystème dans lequel de nombreux éléments rentrent en ligne de compte. Des facteurs que le gouvernement ne cesse de négliger, quand il ne participe pas à leur destruction.

Un des avantages qui a incité les groupes étrangers pendant des années à investir en France a été la qualité de ses infrastructures au sens large, de ses services publics, de ses équipements sportifs et culturels, de l’accessibilité au logement. Or, sur tous ces points, l’économie française ne cesse de perdre du terrain, voire de détruire ses atouts avec une constance qui mérite le respect.

Depuis vingt ans, les gouvernements successifs s’acharnent à les mettre en pièces, privatisant les morceaux de choix, et appauvrissant les autres. Le résultat, ce sont des territoires qui n’ont plus de desserte de trains, plus d’hôpitaux, plus de médecins, des écoles malmenées. Quel investisseur choisira d’aller s’implanter dans une région où il sait qu’il aura de grandes difficultés à trouver des cadres acceptant de vivre dans un désert médical, culturel et social ?

Mais l’attractivité repose aussi sur un tissu économique et industriel fait de savoir-faire, de compétences, d’innovation. Si l’américain Tesla a choisi d’implanter son usine de véhicules électriques pour l’Europe à côté de Berlin, ce n’est pas seulement en raison des conditions financières avantageuses que le Land est prêt à lui offrir. C’est aussi et surtout parce qu’il sait qu’il va pouvoir y disposer d’un réseau de fournisseurs et de sous-traitants formés, équipés, convertis depuis des années à la robotique et à la numérisation, d’une main-d’œuvre qualifiée, travaillant depuis des années sur des équipements sophistiqués. Même s’il en conteste le modèle social.
Le choix du confort de la rente

Aucun territoire français n’est capable d’avancer des positions équivalentes. Tout y est morcelé, éparpillé. Les grands groupes français ont refusé la moindre responsabilité dans l’organisation de ces réseaux. Ils n’ont développé aucune stratégie de coopération, de mutualisation, de partage. (...)

Le modèle du directeur d’achat tout-puissant, bâti sur la guerre des prix, les rapports de force, les chantages, tel qu’il a été développé par le secteur automobile et la grande distribution depuis les années 90, s’est diffusé dans toute l’économie, et jusque dans l’appareil d’État, comme le prouve la dernière affaire des masques FFP2. Plutôt que d’être en soutien, d’inciter à la coopération et à l’innovation, l’ensemble des acteurs économiques préfèrent la stratégie du prix le plus bas possible, les délocalisations, le confort des habitudes.

L’exemple de Sanofi, qui se vantait jusqu’au Covid-19 d’être le numéro un mondial des vaccins, mais qui a été incapable de développer le moindre vaccin ou médicament en réponse à ce nouveau virus, résume à lui seul les choix industriels faits par les dirigeants des grands groupes.

Malgré les aides et les soutiens publics, les responsables de ce groupe pharmaceutique ont trouvé plus judicieux de couper dans les centres de recherche, d’abandonner des projets de recherche risqués parce qu’incertains, afin d’engranger des profits dans des domaines assurés et soutenir leur cours de bourse. Quitte à rattraper leur retard de temps en temps en rachetant à prix d’or un concurrent. C’est ce qu’il a fait cet été avec l’acquisition de l’américain Translate Bio, spécialiste de l’ARN messager, pour 2,7 milliards d’euros.

Ce n’est pas un hasard si l’industrie française figure parmi celles qui investissent le moins dans les outils de production, et qui consacrent le moins à leurs dépenses de recherche et développement. Elle a le taux le plus bas de robotisation en Europe de l’Ouest, a négligé le numérique dans des pans entiers de son activité, ignore pratiquement tout de l’intelligence artificielle. Car elle a choisi la rente. (...)

le patronat, loin de tirer certaines leçons, poursuit sur sa lancée. Le Medef a déjà fait son programme pour la campagne présidentielle : toujours plus d’allégement de la fiscalité, de réductions des financements sociaux, de suppressions des obligations.

Au lieu de discuter ces exigences au vu des résultats désastreux produits, tous les candidats de droite ont déjà repris en bloc les propositions patronales. Sans même les subordonner à la moindre contrepartie. (...)

L’échec de cette stratégie est patent. Au lieu des Gafam, la France a les LHOCK (LVMH, Hermès, L’Oréal, Chanel, Kering), cinq groupes de luxe qui dominent la vie des affaires et le CAC 40. Cinq familles milliardaires qui ont vu leur fortune augmenter de 236 milliards, soit une progression de 86 % entre mars 2020 et octobre 2021, selon la dernière étude d’Oxfam publiée le 17 janvier. L’illustration parfaite d’un capitalisme stérile de rente. (...)