
Pour la première fois, un impôt minimum mondial sur les grandes entreprises pour lutter contre l’évasion fiscale pourrait voir le jour. Une mesure sans précédent mais qui est encore loin des ambitions nécessaires pour s’attaquer réellement au problème. Le 5 juin 2021, les ministres des finances du G7 – les 7 pays les plus riches de la planète – se sont mis d’accord sur un taux d’imposition à 15%. Le 1er juillet, 130 pays du cadre inclusif de l’OCDE se sont accordés sur les grandes lignes de cette mesure.
Pour Oxfam ce taux est beaucoup trop bas – et pourrait être encore abaissé par des exemptions – et le compromis proposé défavorise également les pays en développement.
Taxation mondiale des multinationales : pourquoi l’accord du G7 n’est pas satisfaisant ?
Les ministres des finances des pays du G7 – Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni – se sont réunis à Londres les 4 et 5 juin derniers pour avancer sur une réforme attendue depuis longtemps, celle de la fiscalité mondiale des multinationales. Si un accord a enfin été obtenu après plusieurs années de blocages, Oxfam a dénoncé un compromis au rabais, à cause du manque de soutien actif de plusieurs pays européens, dont la France, et la pression des paradis fiscaux.
Un impôt mondial minimum, une demande historique pour lutter contre l’évasion fiscale
C’est une demande qui est portée depuis longtemps par Oxfam et les organisations qui luttent contre l’évasion fiscale.
Les multinationales de tous les secteurs parviennent à délocaliser en moyenne 40% de leurs bénéfices étrangers dans les paradis fiscaux en utilisant les failles des règles fiscales internationales qui ne sont plus adaptées à l’économie du 21ème siècle. Les multinationales parviennent ainsi à délocaliser artificiellement leurs profits dans des paradis fiscaux. Pour attirer ces grandes entreprises, une course effrénée pour niveler l’impôt par le bas s’est enclenchée. En 30 ans, les taux d’impôt sur les sociétés ont été divisés par deux à l’échelle mondiale. Il est donc indispensable de revoir en profondeur la façon dont les multinationales sont taxées.
Depuis 2013, c’est l’OCDE qui est en charge de mener cette réforme internationale de la fiscalité, avec aujourd’hui près de 140 pays autour de la table. Malheureusement jusqu’à maintenant les mesures adoptées n’ont pas permis de combler toutes les failles du système et les négociations au G7 en France en 2019 ont échoué, notamment à cause du manque de volonté de la France et de la position radicale du président Trump.
Les deux piliers de la réforme de la taxation des multinationales (...)
La France a soutenu du bout des lèvres le taux de 21% proposé par l’administration américaine, préférant se concentrer sur un accord sur la taxation des géants du numériques. Pourtant, le passage d’un taux effectif à 21% à un taux à 15% devrait faire perdre à la France 12 milliards d’euros de recettes fiscales par an, alors que l’accord sur les géants du numérique ne devrait ramener que quelques centaines de millions d’euros. (...)
Les pays en développement sont les grands oubliés de la réforme
Le système de taxation des entreprises multinationales pénalise historiquement les pays en développement qui dépendent plus des recettes fiscales des entreprises que de celles des particuliers (...)
l’accord conclu par le G7 ce 5 juin 2021 devrait essentiellement servir les intérêts des pays riches puisque les recettes taxées iraient dans les pays où les entreprises ont leur siège social. Au total, les pays du G7 pourraient capter à eux seuls 60% des recettes de ce nouvel impôt. Les pays en développement, qui représentent plus d’un tiers de la population mondiale, ne devraient percevoir que 3% des recettes.
Pourquoi la France sera perdante avec cet accord ?
Une position ambiguë de la France
A la sortie de la réunion du G7, Bruno Le Maire a déclaré que « le taux de 15% était un point de départ et qu’il fallait aller plus loin ». Cette déclaration est la bienvenue alors que la France a été très timide dans les négociations jusqu’à maintenant et avait soutenu du bout des lèvres le Président Biden qui proposait un taux à 21%.
Par ailleurs, la politique fiscale du gouvernement qui consiste à réduire l’imposition des entreprises participe au mouvement global du nivellement par le bas de l’impôt (...)
Le manque de soutien actif de la France à la première proposition de Joe Biden est un très mauvais calcul politique : la France serait l’une des plus grandes perdantes d’un passage de taux de 21% à 15% avec des recettes fiscales attendues de 4,3 milliards d’euros contre 16 milliards pour la proposition américaine, soit une perte d’au moins 12 milliards d’euros.
La France a choisi de mettre toute son énergie dans l’adoption d’un accord international sur l’imposition des GAFA en adoptant une loi l’année dernière : c’est un premier pas mais qui n’est pas du tout suffisant pour mettre fin à l’évasion fiscale des grandes entreprises. (...)
Avec sa taxe GAFA, la France a collecté pour la première fois environ 400 millions d’euros fin 2020, soit 3% de certaines activités numériques réalisés par les GAFA en France. Cette taxe déjà très peu ambitieuse est encore plus marginale à côté des 26 milliards que pourrait rapporter une taxe à 25% sur l’ensemble des multinationales. Taxer les GAFA, c’est s’attaquer à la face la plus visible de l’évasion fiscale car au-delà des géants du numérique, l’évasion fiscale est un fléau qui touche l’ensemble des secteurs d’activités.
Taxation mondiale : quelles sont les prochaines étapes ?
L’accord décidé lors du G7 doit ensuite être discutée lors du G20 les 9 et 10 juillet puis au sein du Cadre inclusif de l’OCDE où siègent près de 140 pays. Il faudra que la France pèse de tout son poids pour relever l’ambition de la réforme : il serait incompréhensible que le taux minimum mondial soit maintenu à 15% car c’est à peine plus élevé que les taux pratiqués dans les paradis fiscaux ; et il est indispensable que les pays en développement perçoivent leur juste part des recettes de la taxation mondiale.
Et la France peut d’ores et déjà agir seule. La mesure a été imaginée pour être appliquée unilatéralement en cas de blocage des paradis fiscaux. Si un pays refuse de remonter son taux d’impôt au niveau minimum, la France pourrait ainsi taxer la différence entre le taux effectif et le taux minimum payé par les entreprises françaises opérant dans ce pays. Les entreprises tentées par l’exil fiscal seraient également taxées.
C’est la raison pour laquelle les Etats-Unis ont annoncé qu’ils appliqueraient la mesure unilatéralement en cas d’échec des négociations internationales. Alors que certains pays européens s’opposent à la mesure et pourrait empêcher l’Union européenne de la mettre en place – faute d’unanimité – la France pourrait tout à fait appliquer le dispositif unilatéralement, ou avec d’autres pays européens.