
Attac a quinze ans. Mouvement au coeur de l’altermondialisme, son histoire en reflète les échecs et les succès. Son porte-parole, Thomas Coutrot, raconte comment l’écologie est entrée dans le logiciel du mouvement, et évoque l’explosion du système du fait du blocage du capitalisme.
Thomas Coutrot - Attac est né en même temps que le mouvement altermondialiste, dont la première grande date marquante a été 1999, avec le sommet de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) à Seattle : de grandes manifestations s’y sont déroulées, manifestant l’émergence du mouvement. C’est le moment où l’on commence, à la suite des crises financières en Asie et en Amérique Latine dans les années 1990, à s’apercevoir des pouvoirs exorbitants dont dispose l’industrie financière et des ravages qu’elle fait subir aux sociétés.
Donc, le mouvement inter mondialiste se développe contre le libre échange, contre l’OMC, contre l‘AMI (Accord multilatéral sur l’investissement). Et puis, l’idée a été avancée par Ignacio Ramonet, du Monde diplomatique, d’appliquer la taxe Tobin, une taxe sur les mouvements de capitaux : cette idée a fédéré plein d’acteurs associatifs ou intellectuels qui se rendaient compte qui fallait faire cause commune, parce que les combats des différentes causes - syndicale, écologique, féministe, des droits de l’homme, de solidarité internationale -, ces combats séparés se heurtaient à un adversaire extrêmement puissant. Isolé, aucun ne pouvait plus obtenir d’avancée.
Attac en France est rapidement devenue une association de masse. En 2002, elle y comptait trente mille adhérents et plusieurs dizaines de comités locaux, avec un essaimage dans des pays européens, africains, latino-américains et même asiatiques. Le Forum social mondial a été créé en 2001 à Porto Alegre, au Brésil, et Attac y a joué un rôle important.
Mais les attentats du World Trade Center en septembre 2001 ont cassé la dynamique du mouvement. La contre-offensive des néo-conservateurs américains a été extrêmement forte et a coupé les ailes des mouvements sociaux aux Etats Unis et du mouvement altermondialiste. Ensuite, Attac a vécu une crise qui a éclaté en 2006.(...)
on ne peut pas découpler la croissance du PIB (produit intérieur brut) et l’émission de CO2. Le découplage absolu est une impossibilité et il faut en tirer les conséquences. Intellectuellement, c’est l’argument décisif. On ne peut pas découpler la croissance économique de la progression des émissions de gaz à effet de serre, donc il faut y renoncer. (...)
Comment définirais-tu le projet économique d’Attac ?
C’est un projet de démocratie économique. Même une économie stationnaire connaîtra du changement. L’histoire de l’humanité ne sera pas figée une fois pour toutes. Il y aura du développement de certaines productions et des abandons d’autres. Donc la trajectoire de développement doit résulter de la délibération démocratique articulée à tous les niveaux. C’est ce que certains appellent la planification participative avec l’idée qu’il y aura toujours une économie marchande. Le marché est un outil économique beaucoup plus ancien que le capitalisme et lui survivra. Mais les forces du marché ne doivent pas déterminer les trajectoires du développement économique des sociétés. Ceci doit être fait par les délibérations démocratiques articulées au niveau local, régional et international. (...)
Avec la crise de représentation, de légitimité du système politique, et avec le diagnostic de la cooptation des hautes sphères de l’appareil d’Etat par les intérêts financiers et économiques qui fait qu’on a maintenant affaire à une oligarchie et que les politiques publiques reflètent de façon systématique les intérêts de cette oligarchie, « interpeller » devient largement inutile. On s’oriente vers le soutien, la mise en visibilité des initiatives concrètes dans la société, sur l’énergie, l’agriculture, l’écologie, etc. Les alternatives concrètes locales deviennent un des outils principaux de la transformation sociale. Aussi, on s’oriente de plus en plus vers la mobilisation citoyenne sur des cibles précises, telles que les multinationales ou la Banque centrale européenne. On a par exemple lancé un mouvement de boycott d’Unilever pour soutenir Fralib. (...)
face à cette crise, ce qui était la colonne vertébrale du système social depuis le XIXe siècle, le mouvement ouvrier, s’est trouvé réduit à l’impuissance. Ceci découle de la fragmentation du salariat par une politique libérale depuis trente ans, et aussi de ce que les directions syndicales ne représentent plus que la couche supérieure du salariat, qui peut espérer s’en sortir à moindre frais : c’est typique en Allemagne, où les syndicats soutiennent de fait une politique d’austérité en Europe.
Et puis, on a cette crise de la politique, du système de représentation de la société qui, avec la crise financière, a suscité pour la première fois des mouvements de masse. Depuis le mouvement des Indignés, on voit se multiplier dans de nombreux pays le désarroi et la révolte des citoyens face à une classe politique qui ne les représente plus et qui ne s’intéresse qu’à la stabilité du système financier.
Cette crise de la représentation nourrit un sentiment de révolte et d’impuissance : « Que peut-on ? Quand on élit une majorité de gauche au Parlement, elle fait la même chose que la droite ». Les outils, dont disposaient les populations pour se faire entendre ne sont plus opérationnels. (...)
le néo capitalisme est à la fois un pouvoir extrêmement fort et en même temps extrêmement fragile parce que la clé de voûte et le talon d’Achille du pouvoir de la finance sont une même chose : la libre circulation des capitaux. Cela donne un pouvoir fantastique aux détenteurs de capitaux, mais ils sont en même temps incapables de le réguler, parce que cela leur ferait perdre le pouvoir. (...)
Tout indique qu’Il n’y a pas d’auto réforme possible du système économique. Ils iront jusqu’au bout de leur logique, et cette logique aboutira inévitablement à des catastrophes économiques et écologiques. Toute la question est qu’au moment de ces catastrophes, il y ait déjà suffisamment de répertoires d’alternatives diffusées, connues des gens et qui serviront de repères, afin d’offrir des solutions de court terme aux gens qui se retrouveront sans boulot, sans argent, sans nourriture. Est ce que cela sera suffisamment diffusé pour que cela représente des alternatives crédibles ou va-t-on directement vers la guerre civile et les massacres de masse ? Voilà la perspective !
Notre boulot est de construire cet imaginaire alternatif à partir des pratiques sociales, de faire en sorte que cela apparaisse comme crédible aux yeux d’un maximum de gens et, que le moment venu, ce soit une alternative visible, une vraie possibilité que qu’elle se généralise et devienne un nouveau modèle de société.