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« Il est plus facile pour les historiens de travailler à Tunis, Istanbul ou Aix qu’à Alger »
Fatima Zohra Guechi, historienne
Article mis en ligne le 8 juillet 2020
dernière modification le 7 juillet 2020

Fatima Zohra Guechi, professeure d’histoire à l’université de Constantine, brosse, dans cette interview, un tableau peu reluisant de la recherche en histoire en Algérie. Tout en rappelant l’indigence des moyens mis à la disposition des chercheurs, la bureaucratie, la chape de plomb politique et idéologique qui « tabouise » à outrance plusieurs questions, elle met le doigt sur les aspects pédagogiques et ceux liées aux langues d’enseignement de l’histoire qui se posent comme des freins infranchissables à l’épanouissement de cette discipline.

(...) En tant qu’historienne, il n’est pas facile d’avoir un regard d’ensemble sur l’écriture de l’histoire. Chacun de nous reste « englué » ou enfoncé dans ses obstacles et missions quotidiennes. Les recherches en cours sont très différentes et parfois très riches, mais les échanges sont limités. Même les efforts consentis par le ministère de la Culture pour soutenir l’édition n’a pas donné les résultats escomptés. La disponibilité des exemplaires dans les bibliothèques des villes ne suffit pas. La part des bibliothèques universitaires dans ces dons est minime ; de plus, les éditeurs n’impriment que quelques centaines d’exemplaires, en plus du nombre requis pour le ministère, ce qui crée des frustrations à savoir que l’ouvrage est publié mais n’est disponible que dans quelques librairies et pour peu de temps. (...)

L’histoire récente, la colonisation, la résistance, le mouvement national et enfin la Révolution ont marqué les générations. De plus, la politique mémorielle a mis l’accent sur l’histoire du mouvement national et de la révolution ou guerre de libération. La demande politique et sociale pour la connaissance de la période contemporaine est très forte. La meilleure preuve en est le besoin de beaucoup de chercheurs antiquisants, médiévistes ou d’autres disciplines d’intervenir sur les questions d’actualité et surtout sur l’histoire contemporaine. Comme si l’histoire contemporaine ne requerrait pas des outils méthodologiques spécifiques comme l’histoire ancienne ou médiévale ou encore la période moderne – ottomane. Ajoutez à cela, l’accessibilité – relative – des documents coloniaux pour la plupart, de la presse et des témoignages (entretiens et mémoires des acteurs), pour les trente dernières années. Alors oui, c’est la période contemporaine qui attire le plus de chercheurs.

À mon avis, l’histoire ancienne, voire la préhistoire, rebute en premier lieu par l’exigence des langues : le français pour prendre connaissance des travaux d’archéologie et d’histoire entrepris durant la colonisation. Le latin, le punique etc., pour déchiffrer les inscriptions antiques, pour peu que les chercheurs veuillent renouveler les problématiques et les savoirs… Le peu d’encadrement, le peu de moyens des universités pour entreprendre des fouilles, sous la tutelle de la Culture.

La période médiévale est prise elle aussi entre les encouragements idéologiques et les difficultés méthodologiques pour renouveler un savoir dominé par les écrits orientaux depuis les sources jusqu’aux travaux de la moitié du 20e siècle. (...)

les programmes de formation en Licence et en Master accordent un horaire proportionnel aux capacités d’encadrement et la période contemporaine est privilégiée. (...)

Les chercheurs, enseignants et doctorants ont des difficultés à accéder aux archives, ici en Algérie. Les restrictions sont nombreuses et la gestion y est souvent bureaucratique et les conditions de travail peu favorables (...)

Les départements d’histoire et les facultés n’ont aucun moyen financier pour mener des recherches, tout court.

La recherche est déléguée aux laboratoires qui ont bénéficié de soutien assez conséquent entre 2000 et 2012. Après cette date, le budget est plus symbolique, surtout pour les sciences humaines et sociales. (...)

Que suggérez-vous à l’attention des jeunes chercheurs mais aussi des autorités pour donner à la recherche en histoire la place qu’elle doit occuper dans l’université algérienne ?

Aux jeunes chercheurs, je suggère de choisir des thèmes porteurs, des questions inédites, même à très petite échelle, pour faire avancer la recherche, même dans un milieu assez conservateur dans l’ensemble. Je leur dis intéressez-vous à l’histoire de la longue durée, voire à la préhistoire, notre région est riche en vestiges et notre enracinement millénaire et, surtout, libérez-vous des injonctions de politique politicienne et travaillez en réseau pour promouvoir l’histoire de notre belle Algérie.

Quant aux autorités, une seule demande, pas facile à réaliser : Accordez-votre confiance aux enfants de ce pays, soutenez-les dans leurs entreprises et leurs ambitions ; et laissez-les prendre la responsabilité de leurs écrits et de leurs actes ; des débats citoyen, historien et responsable entre tous sortiront des travaux novateurs qui répondent aux aspirations de tous les Algériens.