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le Monde Diplomatique
Idée reçue « Tout le monde profite du libre-échange »
« Manuel d’économie critique » • 2016 VII. Mondialisation : la mise en concurrence des peuples • pages 112 et 113
Article mis en ligne le 12 juin 2017

Innombrables sont les intellectuels français ayant promis que la mondialisation, nécessairement « heureuse », déverserait ses bienfaits sur l’humanité. Pauvreté, chômage, corruption… trouvaient chez eux une même solution : davantage d’ouverture économique. Mais, comme les inégalités n’ont cessé de croître, une question se pose : tout le monde profite-t-il de la même façon du libre-échange ?

Nous sommes en 1993. Les pays européens viennent de ratifier le traité de Maastricht, leurs frontières s’effacent, tout au moins douanières. Un an plus tard, de l’autre côté de l’Atlantique, l’Amérique du Nord s’unifie elle aussi, du Canada jusqu’au Mexique, sous le régime de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena). L’Accord général sur les tarifs et le commerce (GATT) propulse l’agriculture dans la grande valse du libre-échange. L’objectif de toutes ces mesures ? « Notre bonheur à tous ! », répètent en chœur la plupart des économistes néolibéraux, souvent rétribués par les banques (voir « Un foisonnement d’écoles de pensée »).

Certains partisans du libre-échange, de l’« ouverture » des économies les unes aux autres, avancent toutefois d’autres raisons.

Ainsi du lauréat du prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel (lire « Quand une banque distribue des médailles »), l’influent économiste néo­libéral américain Gary Becker : « Le droit du travail et la protection de l’environnement sont devenus excessifs dans la plupart des pays développés. Le libre-échange va réprimer certains de ces excès en obligeant chacun à rester concurrentiel face aux importations des pays en développement » (Business Week, 9 août 1993).

Ainsi du célébrissime Lawrence Summers, alors économiste en chef de la Banque mondiale, dans une note de service intitulée « Bonnes pratiques environnementales » : « Juste entre vous et moi, la Banque mondiale ne devrait-elle pas encourager davantage la migration des industries sales vers les pays moins développés ? » (12 décembre 1991).

Ainsi, encore, d’Anne Krueger, directrice générale adjointe du Fonds monétaire international : « Plus vite une économie est ouverte, mieux c’est. Parce que plus une économie est ouverte, plus il est difficile de revenir en arrière et de renverser les réformes » (conférence à l’université de Nottingham, septembre 2004). (...)

Le libre-échange a transformé le monde en un supermarché pour les multinationales et l’oligarchie : législations environnementales laxistes ici, coûts salariaux pressurés plus loin, zones franches pour sièges sociaux là-bas et paradis fiscaux tout au fond… Dans le même temps, moins mobiles, les travailleurs subissent le chômage, la baisse des salaires, des fiscalités injustes, de façon à demeurer « compétitifs ». Une somme de contraintes qui n’aiguise pas leur combativité.

Le courant libre-échangiste estime que l’ouverture internationale entraîne une réduction des inégalités au sein de chaque économie. C’est tout le contraire : la mondialisation étire l’échelle des revenus par les deux bouts. Le plancher s’affaisse tandis que le plafond s’élève toujours davantage. (...)