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Hervé Le Treut : « Il y a un déni autour du changement climatique »
Article mis en ligne le 25 juillet 2022

Engagement des scientifiques, déni autour du réchauffement climatique, impuissance du Giec... Le climatologue Hervé Le Treut est l’invité des Grands entretiens de Reporterre.

Hervé Le Treut — On est parti d’un problème climatique qu’on considérait comme un problème de physique. On se battait pour savoir si on allait mettre quelque epsilon en plus ou en moins dans nos calculs. Le changement climatique, pratiquement absent dans les années 50-60, est devenu d’un coup un problème majeur et, plus tardivement, un problème largement visible par les citoyens. Cela nous a beaucoup secoués dans le monde des climatologues. Je n’avais pas envie de devenir quelqu’un qu’on voit sur les écrans, mais on a été happé par cela. À un moment donné, nous étions obligés de réagir à ce qui était en train de se passer sous nos yeux et de manière extrêmement rapide. (...)

Tout ce qu’on a pu faire à partir des modèles climatiques a permis d’anticiper très largement ce qui est en train de se passer. Mais cela ne suffit pas pour donner aux décideurs les éléments permettant de décider sans coup férir ce qu’on doit faire. (...)

Le changement climatique est devenu un problème à différentes dimensions : il est politique, il est lié aux droits de l’Homme, mais aussi à la biodiversité composée de millions d’espèces. Ce sont des effets très différents qui se mélangent et que nous sommes obligés de prendre en compte tous ensemble.

Comment les scientifiques se définissent-ils face à quelque chose de très complexe ? On n’a plus le choix aujourd’hui, on doit se positionner par rapport à des choses qui ont évolué et qui évolueront de manière très forte dans le futur. (...)

On ne peut pas aujourd’hui séparer trois grands piliers. On a la partie de physique — la planète —, dirigée par des équations et par des lois de conservation. Il y a ensuite tout ce qui est lié au vivant, dont la complexité tient au nombre d’espèces, c’est-à-dire qu’il faut avoir là énormément de données, alors que dans le monde des équations, on peut travailler avec moins de matériel. Et puis, il y a l’humain, qui est encore plus insaisissable. Il y a une tendance à croire que les modèles climatiques peuvent nous donner une manière de se projeter dans le futur qui résoudrait tout. On en est très loin. La science brutale, si je puis dire, ne suffit pas. On est obligé d’avoir ces autres éléments. (...)

On est une des seules espèces capables d’anticiper son futur avec un niveau de certitude très fort. (...)

On s’habitue à vivre dans un monde qui change vite. Parce qu’on est des climatologues, peut-être, on n’a pas le sentiment de frayeur qui touche un certain nombre de gens par rapport à ce qui survient. Ce qui survient est très largement irrémédiable. Donc il s’agit de créer un monde franchement nouveau. Plutôt que la frayeur, mon sentiment est celui d’une sorte de devoir. (...)

Et ce qui me gêne le plus aujourd’hui est l’espèce de déni qui entoure ces choses-là. Le déni est une manière de ne pas se préparer à ce monde qui vient. Les gaz à effet de serre ont augmenté de manière très rapide, ils continueront à le faire. Il faut qu’on détermine dès maintenant les manières de se protéger, de participer aussi aux réductions des émissions de gaz à effet de serre. Nous sommes face à des enjeux qui modifieront profondément le monde dans lequel on est. (...)

Dans une situation très nouvelle, il y a des manières de s’en sortir très différentes. On a un besoin très fort d’une génération de jeunes autonomes, qui puissent réfléchir par eux-mêmes sur ce que sont ces enjeux, comment ils vont se manifester, ce qu’ils vont impliquer. (...)

une partie de la jeunesse a une réflexion extrêmement poussée. Des jeunes veulent comprendre ce qui se passe, quelle peut être leur position par rapport à ça, et commencent à se positionner. Cela ne touche qu’une minorité, mais c’est un changement très profond. (...)

Quand on parle des risques climatiques, on parle d’une planète qui a évolué plus rapidement qu’on ne le pensait, parce qu’on a émis des gaz à effet de serre, alors que le système est resté très stable pendant tout l’holocène.

Pendant environ dix mille ans.

Voilà. Tout le monde aimerait qu’il reste stable. Il ne restera pas stable. On a une moitié en plus de CO2 dans l’atmosphère. Est-ce qu’on s’intéresse à l’atténuation du changement climatique ? À son adaptation ? On doit nécessairement faire les deux. (...)

Il n’y a pas d’aide possible face au changement climatique si on ne respecte pas les caractères de notre humanité. C’est plus fort que ce que nous dictent les enjeux strictement climatiques.