
Pour l’écrivaine et philosophe Hélène Cixous, la vague de suicides chez France Télécom est « une métaphore de la cruauté qui se manifeste ailleurs aussi ». L’université n’est pas épargnée par « la machine à déshumaniser ».
On recouvre avec le mot suicide la vérité sanglante de la chose. Il s’agit vraiment d’assassinats, des assassinats extrêmement pervers, c’est-à-dire qu’on fait tout pour que les gens se suppriment. Ce sont des histoires de suppression : suppressions de postes, suppressions d’âmes, de coeurs, de corps… L’histoire de France Télécom, qui est atroce, est une métaphore de la cruauté qui se manifeste ailleurs aussi. J’appartiens à l’université. L’université subit une double violence en ce moment. On lui demande, sous prétexte d’autonomie, de s’auto-réduire, de supprimer des postes de tous les côtés. On délègue aux victimes la tâche de se supprimer elles-mêmes. Il faut voir l’ignominie de la démarche. Les malheureux - reçoivent l’ordre du ministère : « Coupez-vous la tête vous-mêmes ! » Voilà. « Tuez-vous vous-mêmes ! » dit-on aux travailleurs de France Télécom et aux autres, « Exécutez-vous. »...
...C’est du minerai. Comment va-t-on organiser le minerai humain… Comment va-t-on traiter la matière humaine… Je vous assure que ces mots, les gens les sentent dans leur corps. C’est absolument abominable : se dire qu’on est traité comme un morceau de matière par un dénommé directeur des ressources humaines. Au-delà de la crise économique, il y a une crise de civilisation...
...Comme les directives viennent d’en haut, il s’ensuit une sorte de hiérarchisation de l’exploitation et de l’oppression : le grand chef transmet le mal au moyen chef qui transmet ça au petit chef, etc. Ce qui se sécrète - car c’est vraiment une sorte de maladie auto-immunitaire qui s’installe -, c’est du ressentiment et de la haine à chaque échelon. La solidarité, ça n’existe plus...