
Ancienne de La Poste, Astrid Herbert-Ravel, 42 ans, recueille les témoignages de salariés afin de porter une plainte collective pour « harcèlement institutionnalisé ».
(...) « Je reçois des dizaines d’appels, souvent le soir ou le week-end. Ça dure une heure, deux heures, parfois plus. Certains veulent faire passer pour du harcèlement ce qui n’en est pas, mais je reconnais les signes, la cassure. Certains ont fait des tentatives de suicide. Certains, je les rattrape par le col. »
Astrid Herbert-Ravel a porté plainte en avril 2011 contre trois dirigeants de La Poste – dont le président Jean-Paul Bailly – pour harcèlement, discrimination, mise en danger, non-respect des obligations de santé et de sécurité au travail.
La démarche est alors inédite, et médiatisée. Les « postiers » – c’est ainsi qu’on appelle les employés de La Poste dans la maison – se mettent à chercher le numéro d’Astrid dans l’annuaire. Les voix racontent les humiliations, les mises au placard, les intimidations, la désillusion.
Astrid écoute, note, retranscrit, s’imprègne, absorbe. A chaque histoire, elle revit la sienne. A chaque histoire, elle conjure la sienne. (...)
Il souffle le froid et le chaud : il m’encense sur des dossiers où je me trouve moyenne, mais me lamine là où je suis excellente. Il peut tout aussi bien me demander de faire des choses très difficiles qui ne relèvent pas de mon niveau, que me demander de servir le café.
Petit à petit, il se met à me fixer des objectifs sans concertation et sans moyens, en décrétant au moment de les rédiger que, de toute manière, je ne les atteindrai pas. Il veut par exemple que j’organise des séminaires dans des grands hôtels mais sans budget. Je n’ai qu’à “me débrouiller”. »
Au bout de quelques mois, Astrid prévient sa hiérarchie qu’elle souhaite changer de poste :
« La hiérarchie se dit “consciente du problème” – le nouveau directeur a un passif lourd – mais, contrainte par le siège, elle ne peut “pas faire de miracle”. »
La jeune femme trouve finalement une place, à la direction des centres financiers. Elle doit négocier son départ avec le directeur qu’elle fuit. (...)
« J’étais sûre de moi, je suis devenue une ombre. Dans le harcèlement, il y a un avant et un après. C’est une attaque contre les fondations, l’identité. La personne que l’on était ne reviendra jamais. » (...)
« On pousse le vice jusqu’à me faire reprendre le travail en 2005 sur le même lieu que mon harceleur.
Après des mois d’inactivité à la maison, et des missions bidons, je suis mutée au service logement de La Poste en 2008, que j’ai contribué à créer dix ans plus tôt. Mais cette fois-ci, je reviens par la petite porte : je dois m’installer dans un petit bureau isolé, à l’entresol dans l’escalier de secours à l’extérieur du service. J’y reste des mois sans boulot. »
Fin 2006, Astrid tente de se suicider.
Contactée à plusieurs reprises, La Poste n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien sur le parcours de l’ancienne DRH. (...)
Parallèlement à sa plainte au pénal – qui passe au tribunal en janvier 2013 –, Astrid Herbert-Ravel travaille, avec d’autres « postiers » et des syndicats, pour porter une plainte collective pour « harcèlement institutionnalisé » contre les dirigeants de La Poste.
Une telle procédure a abouti en juillet 2012 à la mise en examen de trois anciens dirigeants de France Télécom, suite aux suicides dans l’entreprise.