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Guadeloupe. Harry Durimel : "Le chlordécone va nous empoisonner pendant 700 ans"
Article mis en ligne le 28 février 2021

Le combat contre le chlordécone, un pesticide aux graves conséquences sanitaires, ­revient en force aux Antilles. La bataille est engagée de longue date, mais depuis que les juges d’instruction chargés du dossier ont évoqué, fin janvier, la possibilité d’une prescription, la mobilisation est plus que jamais d’actualité. Samedi, des rassemblements à l’appel de collectifs ­citoyens et de syndicats sont organisés en Martinique et en Guadeloupe. L’avocat Harry Durimel, désormais maire de Pointe-à-Pitre, est l’un des fers-de-lance de cette lutte.

Harry Durimel :

C’est d’abord en tant que citoyen écologiste que ce combat a débuté, puis c’est devenu une affaire en justice. Dans un premier temps, j’ai été alerté par Gérard Borvon (militant écologiste, président de l’association S-Eau-S en Bretagne – NDLR), à qui je rends systématiquement hommage, car il a fait savoir aux Guadeloupéens qu’ils étaient empoisonnés. En 2002, il nous a informés que des cargaisons de patates douces en provenance de ­Martinique étaient polluées au chlordécone. J’ai alors commencé des recherches et pris connaissance du rapport ­Bonan-Prime (rapport de l’Igas remis en 2001 à Dominique Voynet, alors ministre de l’Éco­logie – NDLR). C’est un document incontournable, un véritable réquisitoire contre l’État. Il décrit par le menu l’historique du chlordécone et toutes les alertes qui ont été lancées. Des pollutions ont été relevées dans les poissons dès les années 1979-1980, jusqu’à 200 fois la dose maximale ! Ce n’est qu’en 2005 que leur consommation a été interdite… Le chlordécone a été utilisé depuis le début des années 1970 et jusqu’en 1994. Les rapports sur sa dangerosité, connue dès 1979-1980, ont été tenus secrets ici… (...)

les distributeurs ont demandé des dérogations pour écouler leurs stocks. Et l’enquête a révélé qu’en 1992, ils les ont renouvelés. (...)

il y a en Guadeloupe une véritable épidémie de cancers de la prostate. Chaque année, on compte entre 300 et 400 cas. Et ces chiffres sont sous-évalués, car cette maladie touche à l’intime, à la masculinité des hommes concernés. Les gens la cachent et ne sont pas prêts à porter plainte. (...)

La première plainte est déposée après quatre ans de travail. Entre 2006 et 2008, c’est une véritable guérilla judiciaire : le procureur fait tout pour leur barrer la route. Mais nous les avions déposées via quatre associations, et deux ont été déclarées recevables : celle de l’Union des producteurs de la Guadeloupe, affiliée à la Confédération paysanne, et l’autre de l’Union générale des consommateurs. Puis, le dossier a été dépaysé à Paris, malgré notre opposition. Là, le procureur a tenté de déclarer la plainte nulle. De toute évidence, il était pour les empoisonneurs… Mais la cour d’appel l’a con­tredit. Depuis, nous avons connu trois tandems de juges d’instruction. (...)

On connaît aujourd’hui, grâce aux enquêteurs de la brigade de la lutte contre les atteintes à l’environnement, basée à Arcueil, tout l’historique du chlordécone. On a une armoire complète, sauf deux ou trois actes qui ont mystérieusement disparu. (...)

Des procédures menées par la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – NDLR) en Guadeloupe et en Martinique, et qui seraient de nature à interrompre la prescription. Comme par hasard. (...)

Nous avons de nouvelles informations qui nous permettent de contester cette prescription. En droit, elle ne court qu’à partir du moment où la partie civile a connaissance du préjudice, et non de 1994, date de la dernière utilisation du chlordécone, comme la justice veut le retenir. (...)

Certains indépendantistes parlent d’un empoisonnement volontaire, mais je ne suis pas d’accord, la question est systémique. C’était un choix politique et de société, un choix productiviste et économique, d’autoriser le chlordécone contre le charançon pour être compétitif face à la banane américaine. Il fallait accroître la production vaille que vaille. C’est pour cela que nous demandons aujourd’hui à Emmanuel Macron, auquel j’ai écrit mi-février, que le principe du pollueur-payeur soit appliqué. (...)

Les conséquences de cette affaire dépassent les simples pertes économiques, ça réveille les stigmates, le sentiment anti-békés, mais ça occulte le fait qu’ici même des voix se sont élevées en faveur du chlordécone. Il faut être objectif, de nombreux locaux sont responsables. (...)

Quant à la justice, elle ne peut pas dire que le sujet est prescrit alors que le chlordécone va nous empoisonner pendant sept cents ans. On en boit et on en mange tous les jours. Tous les Guadeloupéens peuvent déposer plainte chaque matin. Ces plaintes, c’est pour obtenir vérité et justice, que ce soit face à l’État ou aux patrons qui se sont enrichis. Chaque Guadeloupéen concerné doit pouvoir obtenir réparation.

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