
Malgré une ressource deux fois plus élevée qu’en métropole, les Guadeloupéens subissent des coupures aussi longues qu’imprévisibles. Une situation à laquelle n’échappe pas Gourbeyre, commune pourtant considérée comme le château d’eau de l’île.
Reportage
Gourbeyre est une ville d’eau. Les nuages qui se forment sur l’Atlantique déversent d’énormes quantités de pluie sur cette commune nichée sur les flancs du volcan La Soufrière. Il tombe ici en moyenne annuellement 1 750 millimètres de précipitations. À titre de comparaison, Paris ne reçoit que 630 millimètres et Biarritz, qui détient le record en métropole, 1 450 millimètres.
La commune est connue des Guadeloupéens pour sa source d’eau minérale Capès Dolé, dont ils consomment des millions de litres chaque année. Les énormes ressources de la « Côte au vent », la zone côtière où se trouve Gourbeyre, en font le château d’eau de l’île. Selon un audit gouvernemental de mai 2018, avec 7 000 m 3 par an et par habitant (contre seulement 3 000 m 3 en métropole), elles sont « parmi les plus élevées au monde ».
Gourbeyre est le symbole du scandale de l’eau (...)
Depuis quelques mois, accompagnée de son mari Gilles Meghlaoui, Sylvie Huc s’est improvisée guide malgré elle, proposant aux médias une visite du bourg. « Une équipe de télévision locale est venue et, il y a quelques jours, une autre de France 5 », explique-t-elle. La Gourbeyrienne tente ainsi d’alerter l’opinion publique sur une situation qui pourrait prêter à rire tant elle est absurde et si elle ne plongeait pas une grande partie des 7 500 habitants de la commune dans une situation de détresse. À l’image de la fontaine qui ne fonctionne plus, ceux-ci subissent d’interminables coupures d’eau depuis septembre. Gourbeyre est ainsi en passe de devenir le symbole de la crise de l’eau que traverse l’île depuis de nombreuses années et qui, chaque jour, prive de la précieuse ressource des milliers de foyers. (...)
Les canalisations sont rongées par la rouille. L’accès à l’installation est interdit par un cadenas, mais l’Humanité s’est procurée des photographies prises à l’intérieur. L’une d’elles montre une crépine cassée. Ce tube de métal percé de nombreux trous agit comme un filtre, empêchant cailloux, feuilles mortes ou morceaux de bois charriés par le Galion d’obstruer le tuyau qui puise l’eau dans son lit. « En l’absence de crépine, le pompage est interrompu en cas de forte pluie car les risques de boucher la canalisation sont plus importants. Le problème, c’est que c’est précisément à ce moment-là qu’il faut pomper afin de remplir totalement le réservoir », commente Sylvie. « Faute de réparer ou de remplacer la crépine, la quantité d’eau pompée n’est plus suffisante », assure-t-elle. (...)
Chlordécone et eaux usées contribuent à polluer les sols
À l’image de cette crépine endommagée, les capacités de production d’eau de l’île, pourtant suffisantes, sont régulièrement diminuées par des avaries liées à la vétusté des infrastructures, mais, selon l’audit, cette dernière touche principalement les usines de potabilisation de l’eau. Or, la ressource est en grande partie impropre à la consommation. Outre le chlordécone, insecticide cancérigène utilisé jusqu’en 1993 dans la culture de la banane, qui a contaminé les sols pour plusieurs centaines d’années, les eaux usées contribuent à polluer la ressource. 70 % des stations d’épuration ne sont pas aux normes et 60 % des Guadeloupéens ne sont pas connectés au réseau d’assainissement, rejetant leurs eaux usées dans des fosses septiques ou dans la nature. Conséquence, les Guadeloupéens ne boivent pas l’eau du robinet et évitent de cuisiner avec. Selon un article du site Reporterre, ils achètent 50 millions de bouteilles en plastique par an. (...)
. Dans une rue, l’eau jaillit du macadam, ruisselle avant de se perdre dans la végétation sur les bas-côtés. « Ce n’est pas une source. C’est une fuite sur une canalisation de distribution comme il en existe des milliers sur les routes. Non seulement on ne pompe plus assez d’eau mais en plus on en perd », explique Gilles. Selon l’audit gouvernemental, 60 % de l’eau captée en Guadeloupe s’évanouissent ainsi dans la nature. C’est là la principale cause des coupures qui affectent l’île.
Le troisième et dernier arrêt s’effectue à quelques pas de la mairie, où trône une gigantesque cuve en plastique bleu. « C’est un réservoir où les habitants peuvent venir se fournir en eau. Il y en a plusieurs dans la ville », précise Sylvie. L’eau peut être coupée à tout instant et nul ne sait quand elle sera rétablie. Pour pallier la pénurie, les autorités ont mis en place « des tours d’eau » dans toute l’île, mais les jours ne sont pas connus des habitants et souvent le calendrier n’est pas respecté. Alors, comme les autres Guadeloupéens, les Gourbeyriens stockent. (...)
Sylvie Huc, militante du droit à l’eau
Les coupures gênent aussi le fonctionnement du service public. Jusqu’à la récente installation d’un réservoir de stockage, la mairie devait fermer régulièrement, faute de pouvoir accueillir le public dans de bonnes conditions sanitaires. Les commerces souffrent également. (...)
Un matin d’octobre dernier, à 4 heures, Sylvie, qui s’était levée pour faire ses réserves d’eau, s’est surprise à pleurer, épuisée par les coupures incessantes. « Et puis, après l’abattement, je me suis dit : ce n’est pas possible d’accepter cela. Je me suis révoltée. » C’est ainsi que Sylvie Huc est devenue « une militante du droit à l’eau », comme la désigne le secrétaire général de la CGT Guadeloupe, Jean-Marie Nomertin. « Elle n’est pas résignée comme beaucoup le sont », explique le syndicaliste qui salue « son courage ». « C’est un syndicaliste qui se bat. Il nous aide. Il est par exemple intervenu pour que les reporters de France 5 puissent franchir les barrages et venir à Gourbeyre lors du conflit social », dit de lui Sylvie.
Accompagnée de Gilles, Sylvie a improvisé un rassemblement devant la mairie avec quelques habitants. Ils ont aussi commencé à faire signer une pétition aux habitants et fait le siège du bureau du maire pour que la municipalité se mobilise (1). « J’ai aussi écrit au président de la République. J’ai eu un premier contact avec la préfecture. Pour la suite, on verra », raconte-t-elle. Le couple est prudent. Il s’est documenté et a pris connaissance de l’ampleur du « scandale de l’eau » de Guadeloupe. « Nous savons qu’une longue bataille nous attend, mais, préviennent Gilles et Sylvie, nous n’abandonnerons pas. »