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Mediapart
Grossesse ou mandat : l’Assemblée ne laisse pas le choix aux femmes
Article mis en ligne le 25 juin 2022

Rien ou presque n’est prévu si une députée doit siéger enceinte à l’Assemblée nationale. Alors que la parité a fléchi au Palais-Bourbon, le voile pudique jeté sur l’arrivée d’un enfant pour une parlementaire interroge la place que l’on accorde aux femmes dans la vie politique.

Après une augmentation fulgurante du nombre de femmes à l’Assemblée nationale il y a cinq ans, la parité recule en 2022. Une bonne part de l’explication se trouve dans la faible propension des hommes à laisser leur place, malgré tous les mécanismes, y compris financiers, pour les y contraindre. Comme l’avait souligné l’ex-députée Valérie Petit auprès de Mediapart, « le sexisme est comme une bête blessée qui résiste car elle sait que c’est la fin ». La résistance s’avère particulièrement efficace au Palais-Bourbon, qui comptait, il y a 20 ans à peine, plus de 12 % d’élues. (...)

Mardi prochain, au moins deux députées enceintes feront leur rentrée dans l’hémicycle du Palais-Bourbon. Si elles souhaitent s’arrêter, avant ou après leur grossesse, aucun texte ni ligne du règlement de l’Assemblée nationale ne dit un mot sur la possibilité de leur remplacement (par le ou la suppléante par exemple), ou sur un quelconque aménagement de l’exercice parlementaire, permettant de concilier l’arrivée d’un enfant et une telle fonction.

À ce stade, un autre rappel s’impose : député·e n’est pas un travail, n’en déplaisent à celles et ceux qui s’accrochent à leur écharpe comme l’avare Harpagon à sa cassette. L’Assemblée possède son propre corpus interne permettant de régenter la vie des député·es. Quand on interroge ses services sur cette question, c’est d’ailleurs à peu près la seule réponse qui nous est offerte – sans inclusive s’il vous plaît : « Les députés n’ont pas droit à un congé maternité ou paternité », entendu alors comme une mesure financière.
Sexisme ordinaire

Éva Sas, écologiste fraîchement élue aux législatives, siégeait déjà au Palais-Bourbon entre 2012 et 2017. Elle a eu une fille en 2013. « La question n’est pas celle du droit du député à un congé mais du droit des citoyens à être représentés. Comment remplit-on, enceinte, nos obligations démocratiques ? Sûrement pas en laissant vacant un siège pendant des semaines », dit-elle.

La plupart des députées font en réalité le choix d’un congé raccourci à quelques semaines, si les conditions physiques leur en laissent la possibilité, rappelle la députée élue sous l’étiquette La République en marche (LREM) Paula Forteza, elle aussi enceinte au cours de la précédente mandature et qui s’est notamment battue pour rompre le « tabou » autour des trois premiers mois de grossesse pour toutes les femmes.

Il faudrait déjà endurer de se faire huer dans l’hémicycle pour le simple fait de porter une robe ou une jupe, et subir les quolibets sexistes... Faut-il ajouter à cela la culpabilité qui peut naître de ce choix entre la préservation de sa santé, l’envie de profiter des premiers jours de son enfant, et celle de servir correctement la population de sa circonscription ? Plusieurs députées que nous avons interrogées résolvent ce conflit de loyauté en s’arrêtant le moins possible ; d’autres, encore novices, arguent du fait qu’il s’agit d’un strict problème de « vie privée ».

Des mesures possibles

Mais au-delà de la « vie privée » des députées, le signal envoyé à toutes les femmes semble désastreux et le silence de l’Assemblée en la matière, bien bavard. Rien n’est prévu pour elles. Elles ne sont pas encore tout à fait les bienvenues dans l’une des enceintes les plus prestigieuses et puissantes de nos institutions politiques. La consigne pourrait s’appliquer également aux pères de jeunes enfants, qui viennent d’obtenir, dans la « vie civile », un congé paternité d’un mois, remplaçant les quelque 11 jours octroyés jusqu’ici. Oseront-ils et voudront-ils pour autant disparaître corps et biens, au risque d’abîmer leur fonction ? (...)

Un combat qui n’est pas franco-français mais qui commence à être mené pas si loin de nous, du côté de… Strasbourg, avec la possibilité de salles familiales dans l’enceinte du Parlement européen – le projet de crèche dans l’Assemblée a été abandonné, remplacé par des places réservées dans Paris –, une révision des règles d’indemnisation en cas d’absence pour les femmes enceintes, et surtout la mise en œuvre, à la faveur du Covid, du vote à distance.

En France, le Parlement, avec son prestige, ses ors et l’arc de cercle que forment les député·es de diverses couleurs politiques, a été pensé comme l’arène du débat démocratique. Faudra-t-il qu’une élue siège avec son bébé en bandoulière pour qu’il ait enfin lieu sur ce sujet ?