A l’approche des élections européennes, l’immigration est un sujet qui divise. Dans Insiders -L’Europe hors des sentiers battus, notre reporter Valérie Gauriat se rend sur l’île grecque de Samos confrontée depuis plusieurs années à un afflux de migrants. Les conditions de vie restent difficiles, aussi bien pour ces nouveaux arrivants bloqués sur place en attendant d’être fixés sur leur demande d’asile que pour les habitants qui peinent à vivre à leurs côtés. La colère est présente chez les uns comme chez les autres.
Chaos sanitaire
"On traverse une situation très difficile, autant nous que ces gens," explique Manolis. "Ils sont obligés de déféquer dans les propriétés alentour, la situation est désespérée, c’est le chaos sanitaire !" s’indigne-t-il. "Ils ont détruit notre barrière plusieurs fois, j’ai une petite retraite et avec ça, je me débats pour garder cet endroit en état," dit-il.
De leur côté du grillage, les réfugiés nous interpellent : "On est comme en enfer ici," affirme l’un d’eux. "On est là depuis un, deux, trois ans..." renchérit un autre. "On nous prive de notre avenir !" lance le premier. (...)
"Les gens qui aident sont stigmatisés : on nous dit : ’Pourquoi tu les aides ?’ Ils sont malades, ils sont ceci, cela," souligne Vasilika.
"Si l’Europe croit en l’idéal d’égalité entre les États, doit s’occuper du problème" (...)
Hotspot européen
C’est l’un des hotspots ou centres d’enregistrement de demandeurs d’asile installés sur les îles de la mer Égée. Près de 4000 migrants s’entassent à l’intérieur et aux abords du camp, prévu pour 650 personnes.
Depuis l’accord passé entre l’Union européenne et la Turquie en 2016, ils ont interdiction de gagner le continent, tant que leur demande d’asile n’a pas été traitée.
L’attente dure des mois, parfois des années. Les plus vulnérables ont une chance d’être transférés plus vite vers le continent.
Une foule se masse devant le centre médical du camp. "Ces gens savent qu’un certificat médical peut leur permettre de quitter Samos," précise notre journaliste Valérie Gauriat.
L’unique médecin du centre est débordé. (...)
"C’est la jungle, il y a des déchets partout, des rats et des serpents"
La responsable du centre refuse toute interview avec les médias. Notre présence dans l’enceinte du camp n’est autorisée que pendant une heure et à distance, des habitations de fortune. (...)
Nous rencontrons un autre demandeur d’asile qui veut rester en anonyme : "J’ai fait ma demande il y a déjà six mois. On m’a dit que j’aurai mon grand entretien [ndlr : pour l’examen de sa demande] en 2021 ! Vous vous imaginez ? En 2021 !" s’indigne-t-il. "On est là depuis six mois, bientôt sept : la tête va craquer, on ne mange pas bien, on ne dort pas bien, c’est comme si on était des animaux : on ne comprend pas !" déplore-t-il.
Sabah al Maliki, venu d’Irak, est là depuis huit mois. Lui aussi dénonce les délais d’attente dans le traitement des demandes d’asile : "Je suis jeté ici sous la pluie, avec les insectes et les rats, j’ai eu des maladies de peau, mon état psychologique est au plus bas," fait-il remarquer. "Donnez-moi une solution ! Si je ne suis pas quelqu’un qui répond à leurs critères pour être réfugié, ils peuvent me le dire, pour pas que je continue à souffrir et souffrir encore ! Ils n’ont qu’à ouvrir la porte et je quitterai la Grèce !" insiste-t-il.
"Plus personne ne veut aider" (...)
Rares sont les habitants de Samos qui viennent prêter main forte. Alexandros Mantoglou y donne des cours de grec. Aider les migrants à Samos est devenu un sujet sensible.
"Les gens voient que rien ne change, ils se sentent négligés par le gouvernement grec et les politiciens qui promettent toujours que la situation va changer et que les réfugiés vont être transférés ailleurs," déclare Alexandros. "Du coup, plus personne ne veut aider et ceux qui veulent encore aider sont perçus comme des gens qui n’ont aucune considération pour l’île, pour sa prospérité," regrette-t-il.
Perte pour le tourisme
Ce sentiment est palpable à Vathi, la capitale de l’île, qui compte quelque 5000 habitants. La présence du camp de réfugiés à quelques dizaines de mètres du centre-ville est de plus en plus mal vécue. (...)
"Le fait qu’on ait des réfugiés et des migrants coincés sur les quatre îles du nord de la mer Égée depuis deux ans et qu’ils n’aient pas le droit d’aller ailleurs en Europe, ni même en Grèce nous fait penser que l’Europe a sacrifié ces îles, pour se sauver elle-même," (...)
En avril dernier, des centaines d’habitants de Samos manifestaient à l’occasion d’une visite du ministre chargé des questions migratoires pour demander la fermeture du hotspot. La colère n’est pas retombée.
Nous avons rendez-vous devant l’une des écoles primaires de l’île, à l’heure de l’ouverture. Une journée en apparence ordinaire.
Mais quelques semaines plus tôt, les associations de parents d’élèves avaient retiré leurs enfants de plusieurs écoles publiques pendant quelques jours pour protester contre la présence d’enfants réfugiés. (...)
"Nous, nous disons : transférez ces enfants dans des habitations correctes et ensuite, envoyez-les à l’école," (...)
Sonia Paschalaki, membre de l’association, ajoute : "Nos enfants depuis quelques années voient des choses incroyables : avant, on n’avait jamais vu des enfants blessés, marcher sans chaussures au bord de la route, on n’avait jamais vu des enfants fouiller dans les poubelles."
"On veut retrouver nos vies d’avant"
Ces mères de famille se défendent des accusations de xénophobie dont elles font parfois l’objet. À l’approche des fêtes de Pâques, elles confectionnent des paniers garnis d’œufs en chocolat pour les enfants réfugiés. (...)
Mitsos Eleytherios ajoute de son côté : "L’Europe a fermé ses frontières et c’est la Grèce qui en paie le prix !"
Georgios Eleftheroglou, président du village, conclut : _"Ces Européens qui donnent et reçoivent les ordres, ne comprennent-ils pas que la seule chose qu’ils vont réussir à faire, c’est de faire monter l’extrême-droite ? Petit à petit, ils poussent les gens vers les extrêmes ! C’est ça que l’Europe a réussi ! C’est ça qu’il faut leur dire !"_ martèle-t-il.
voir aussi :
https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=2286555558255663&id=1707778992799992&sfnsn=scwspmo&d=n&vh=e