
La crise grecque approche du point de non-retour. Les décisions qu’Athènes s’apprête à prendre influeront sur l’évolution du projet européen au cours des prochaines années. Les commentateurs estimant que la Grèce est un « petit pays » — ne représentant que 2 % du produit intérieur brut (PIB) européen — et que l’impact d’une déflagration hellène sera aisément contenu n’ont peut-être pas pris toute la mesure de la débâcle actuelle.
La tempête qui balaie la Grèce résulte en premier lieu de sa décision de rejoindre la zone euro le 1er janvier 2001, un choix qui allait conduire à la dislocation de son économie. Le pays fait en effet les frais du mythe selon lequel l’adoption d’une « monnaie forte » placerait les économies faibles sur un pied d’égalité avec les plus robustes. On s’aperçoit désormais que de telles politiques finissent par affaiblir les acteurs les plus vulnérables — une logique dont le Portugal, l’Irlande et l’Espagne pourraient bientôt offrir une nouvelle démonstration.
Dans ces conditions, Athènes se dirige désormais vers une sortie de l’euro, et l’ensemble des pays de la périphérie européenne pourraient lui emboîter le pas — une procession dont les conséquences sur l’union monétaire ne seront pas anodines puisqu’elle conduira à la réintroduction de mécanismes de pilotage économique que le néolibéralisme avait conduit les Etats à abandonner.
(...) L’euro est une monnaie de réserve internationale, capable de concurrencer le dollar. A ce titre, il sert, avant tout, les intérêts des banques et des grandes entreprises. Il s’agit également d’une construction toute particulière, apparue ex nihilo sur les bases d’une alliance hiérarchique entre Etats indépendants. Un tel agencement ne manque pas de soulever quelques problèmes qui, dès la genèse du projet, en annonçaient l’échec.
Première difficulté, la contradiction qui oppose politiques monétaires et budgétaires (...)
La construction européenne a imbriqué des nations différentes en les enduisant du vernis uniforme de structures économiques communes. L’opération suffisait-elle à dépasser les spécificités nationales ? Peut-être pas. Cette réalité est d’ailleurs l’une des causes fondamentales de la crise de la zone euro, et l’un des principaux obstacles à sa résolution.
Contrairement à l’antienne selon laquelle des Etats indisciplinés auraient toléré la boursouflure de leurs dépenses publiques, la crise actuelle découle avant tout d’une perte de compétitivité des pays de la périphérie.
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la dette des pays de la périphérie européenne découle directement du gel des salaires en Allemagne... Mais la voie qui conduirait à amputer ceux versés aux Grecs, Espagnols, Irlandais, de façon à rattraper les « prouesses » de Berlin impliquerait une violence sociale telle qu’elle provoquerait des soulèvements et, probablement, l’implosion de la zone euro.
La question politique brûlante est la suivante : qui supportera les coûts d’un défaut sur la dette d’un des pays de la périphérie ? Et, en particulier, qui protégera les banques européennes contre cette déflagration ?
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Cette désintégration ne peut être enrayée qu’à la condition de changements majeurs au sein de l’UEM. Il faudrait, au minimum, un Plan Marshall visant à accroître de façon systématique la productivité de la périphérie, et donc sa compétitivité. Un tel projet implique de mettre en œuvre une politique redistributive en Allemagne, par le biais d’une hausse des salaires ; d’annuler (une partie) de la dette des pays de la périphérie ; et de mettre en place un système de transferts budgétaires au sein de la région. Enfin, on ne s’épargnera pas la mise à plat du système financier et la création d’une autorité capable d’en assurer la solvabilité. Rien d’évident, donc, puisque chacune de ces mesures requiert des changements sociaux et politiques majeurs. (...)
Pour la périphérie, il est probablement déjà trop tard. La désintégration de l’UEM a provoqué une flambée de mouvements sociaux, attisée par une austérité dont aucune perspective de croissance ne tempère la brutalité. A commencer par la Grèce où les mesures de « sauvetage » ont provoqué une dépression sans précédent en temps de paix. (...)
Les centres-villes sont en proie à de véritables désastres humanitaires.
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Mais les ravages de la monnaie « forte » ne sont pas uniformément partagés par la population grecque. L’élite souffre peu ; la baisse des salaires assomme les plus pauvres. (...)