
Ce texte date de juillet dernier, à propos de l’imposition au peuple grec du plan d’austérité. Il exprime cependant des réflexions toujours actuelles.
Le mercredi 29 juin 2011, il était environ 12h30 quand les gaz lacrymogènes des forces spéciales ont envahi la place de la Constitution, à Athènes, provoquant ainsi des spasmes de suffocation dans une foule qui était majoritairement pacifique. Quelques minutes plus tard, le sinistre nuage couvrait tout le centre de la capitale. A ce moment précis, les déclarations faites deux jours plus tôt par le ministre d’Etat, Theodoros Pangalos, ont pris un sens plus concret et plus noir. En effet, le chef adjoint du gouvernement avait déclaré que si le nouveau plan d’austérité n’était pas adopté par le Parlement grec et que, par voie de conséquence, le pays était alors considéré en défaut de paiement, il faudrait faire intervenir les blindés pour protéger les banques. (...)
Comme le mot « blindés » réveille toujours dans la mémoire collective grecque le cauchemar de la torture et des bagnes du temps des colonels, la dictature militaire de 1967, plusieurs de ses camarades députés du Pasok [Mouvement socialiste panhéllénique, au gouvernement] ont protesté - plutôt timidement, il est vrai - contre la faute de goût que constituerait cette formule choc.
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Ce changement de régime est visible non seulement dans l’action des forces de l’ordre, mais aussi dans la marginalisation systématique de l’Assemblée nationale, transformée en chambre d’enregistrement, et dans le contrôle total de la quasi-totalité des médias, transformés en moyens de diffusion d’une propagande abjecte. Ce qui est arrivé mercredi 29 juin n’est rien de moins que l’abrogation du droit constitutionnel de se réunir - tous les totalitarismes en font leur première cible - et était absolument nécessaire pour faire passer ce plan d’austérité. (...)
D’ailleurs, même si ce n’est pas le cas, même si le gouvernement est poussé au désastre contre son gré par des agents locaux ou étrangers qui, de plus en plus clairement, gouvernent à sa place, le résultat est le même : il s’agit de la naissance de la première dictature économique en Europe, un régime qui, étant donné l’évolution socio-économique du continent, risque d’y être souvent copié. (...)
Mais pourquoi cette rage contre les citoyens rassemblés place de la Constitution ? Ces groupes de manifestants affirmant haut et fort leur détermination, mais aussi leur attachement à la non-violence, ainsi que leur conviction qu’une assemblée du peuple, une ecclesia, est possible au XXIe siècle, étaient-ils si dangereux ? La réponse est que le gouvernement comme une grande partie de l’opposition fonctionnent en circuit fermé et sont porteurs d’idées, de valeurs et de pratiques du passé, incapables de répondre aux besoins réels des citoyens.
Les pratiques délibératives en cours sur la place de la Constitution depuis une quarantaine de jours font écho à des expériences européennes de démocratie directe et à des pratiques de solidarité connues en Amérique latine et constituent, malgré tous leurs défauts, un exemple pour tous ceux qui, avec ou sans étiquette, essaient de répondre réellement au désastre qui frappe la Grèce. Pour beaucoup - à commencer par les gouvernants - la place de la Constitution et l’état d’esprit que celle-ci représente risquent de prendre l’ampleur d’une épidémie menaçant l’ensemble du système politique actuel. Et cette épidémie faite d’insoumission, de responsabilité et d’autonomie fait peur parce qu’elle suscite l’espoir. (...) Wikio