
Cette série d’articles analyse les grandes crises de la dette grecque en les situant dans le contexte économique et politique international, ce qui est systématiquement absent de la narration dominante et très rarement présent dans les analyses critiques
Depuis 1826, de grandes crises de la dette ont marqué très fortement la vie des Grecs. Chaque fois, des puissances européennes se sont coalisées afin d’obliger la Grèce à contracter de nouvelles dettes pour rembourser les anciennes. Cette coalition de puissances a dicté à la Grèce des politiques correspondant à leurs intérêts ainsi qu’à ceux de quelques grandes banques privées et des grandes fortunes dont elles étaient complices. Chaque fois, ces politiques visaient à dégager les ressources fiscales nécessaires au paiement de la dette et impliquaient une réduction des dépenses sociales ainsi qu’une diminution des investissements publics. Sous des formes qui ont varié, la Grèce et le peuple grec se sont vu nier l’exercice de leur souveraineté. Cela a maintenu la Grèce dans un statut de pays subordonné et périphérique avec la complicité des classes dominantes grecques.
Rappel de la première partie publiée le 12 avril 2016 : La Grèce indépendante est née avec une dette odieuse (...)
Voici un exemple de présentation largement répandue, tiré du journal Le Monde du 16 juillet 2015 : « Mais, comme aujourd’hui, le pays est miné par le clientélisme et l’évitement de l’impôt par les notables. Le Bavarois Otton Ier de Grèce, monarque bavarois imposé par les puissances européennes, instaure dès l’indépendance une dispendieuse politique de grands travaux. La fonction publique embauche à tour de bras, l’armée mène grand train… Le tout, financé par de généreux (sic !) prêts des pays occidentaux. Le gouvernement perd vite le contrôle : en 1893, près de la moitié des revenus de l’État sont réservés au paiement des intérêts de la dette. »
Un autre exemple est paru dans le magazine financier suisse Bilan du 20 juin 2015 : « Grâce à l’accord ratifié en 1878, la Grèce peut à nouveau emprunter sur les marchés dès 1879. Dans les quatorze années qui suivent, Athènes va emprunter l’équivalent de pratiquement 530 millions de francs auprès de créanciers parisiens, londoniens et berlinois. Mais moins de 25 % de cette somme ira dans des investissements d’infrastructures pour développer le pays, le reste étant essentiellement voué aux dépenses militaires, la Grèce affrontant à plusieurs reprises ses voisins régionaux (avec des fortunes très diverses). »
Ce qu’il y a de vrai dans la narration dominante, c’est que les banquiers étrangers ont de nouveau octroyé des prêts à la Grèce. La narration reconnaît aussi que la monarchie était dépensière et qu’elle a engagé le pays dans des épreuves militaires avec l’Empire ottoman très coûteuses. La plupart des commentateurs, toujours prêts à justifier l’attitude des créanciers (comme la journaliste du Monde qui n’hésite pas à parler de « prêts généreux », authentique oxymore |2|) relèvent aussi que les impôts étaient mal prélevés.
Voyons maintenant ce qui s’est passé réellement.
Au cours des années 1880, les banquiers des grandes puissances (de Grande-Bretagne, de France mais aussi les banquiers allemands, belges, néerlandais…) sont très intéressés par l’octroi de prêts à des pays qui sortent d’une suspension de paiement. Ils posent une condition : les anciennes dettes doivent être restructurées et le pays doit reprendre les paiements. La plupart des pays qui étaient en défaut de paiement ont accepté des restructurations de dette très largement favorables aux créanciers, qui ont dès lors délié le cordon de leur bourse afin que les pays endettés retrouvent des moyens financiers pour rembourser les anciennes dettes. Il s’agissait aussi pour le grand capital des pays dominants de trouver des placements intéressants car le système capitaliste passait par une nouvelle phase d’expansion : l’exportation massive de capitaux afin de réaliser des prêts ou des investissements dans les pays de la Périphérie. C’est le début de la phase « impérialiste » du capitalisme mondial |3|. (...)