
Quelles revendications mettre en avant ? Comment s’organiser ? Entre les marches du samedi, les actions coup de poing et les discussions internes, les gilets jaunes normands tentent de se structurer autour de François Boulo, une figure locale et nationale, qui semble faire l’unanimité. L’avocat très médiatisé ne voit désormais qu’une possibilité pour faire avancer le mouvement et obtenir de nouvelles élections : la grève générale illimitée.
(...) L’avocat rouennais arrive d’Évreux, où se déroulait ce samedi 26 janvier une manifestation régionale. 300 gilets jaunes l’accueillent sous les applaudissements. À 100 mètres, sept cars de CRS sont positionnés autour de l’entrée principale du quartier, au bord du périphérique de Caen. Entre l’église Saint-Bernard et la salle, une équipe de « médics » est assise sur un banc, après la désormais traditionnelle manifestation du matin, pendant qu’à l’intérieur, les prises de parole se succèdent. À quelques kilomètres, le mémorial de la Seconde Guerre mondiale accueille un concours international de plaidoiries pour les droits humains. Pendant que les élèves avocats et les avocats y défendent la cause des opprimés, dans la Maison de quartier, c’est le « peuple » qui s’exprime directement. Parfois avec éloquence, parfois sans filtre, toujours avec énergie et conviction.
Où va l’argent ?
« Ça fait des années que nous sommes gentils, débute un homme. La répression continue. Le gouvernement est contre les gens modestes, ça ne cesse pas. On ne peut pas être gentils quand on est réprimés. Les élus ont accepté les délocalisations et M. Macron est le représentant du patronat. Des moyens pour vivre, il y en a des milliards, et ils se promènent ! Il faut aller les chercher ! » Une femme précise que les petits patrons « sont avec nous et prêts à mettre la clé sous la porte ». « Le patronat n’est pas homogène », ajoute le conseiller départemental Antoine Casini, ancien membre du PS, hôte de la rencontre et animateur du débat. (...)
« Taper sur les lobbys, les multinationales »
C’est aussi l’un des objectifs de ces rassemblements : structurer progressivement les gilets jaunes, à l’échelle locale et régionale, et parvenir à une meilleure organisation. « Nous avons besoin d’une tête », avance quelques jours plus tôt Ludivine, 21 ans, licenciée en philosophie. Celle qui a arrêté ses études pour régler ses problèmes financiers a découvert le mouvement des gilets jaunes au rond-point à côté du MacDo dans lequel elle travaillait. « J’avais perdu la foi en la solidarité de l’humain, dit-elle. Sur le rond-point, une mini-société, d’entraide, s’est créée. On a bloqué la raffinerie pendant deux semaines. » Pour la jeune femme, l’important « est de taper sur les lobbys, les multinationales qui font du tord aux petits commerçants ». « Aujourd’hui, ce serait égoïste de faire des enfants sachant le monde qu’on leur propose, suggère-t-elle. François Boulo fait l’unanimité. Fly Rider [Maxime Nicolle] divise. Mais on a besoin de la popularité de ces têtes, qu’on les aime ou pas. » (...)
« les gens ont peur qu’on retombe dans cette trahison de nos représentants. On ressent toujours cette méfiance par rapport au système pyramidal. Nous devons nous organiser et définir ensemble notre propre représentation, afin qu’elle soit différente par rapport au modèle actuel. » (...)
c’est bien de l’État que les gilets jaunes attendent malgré tout un geste. Quelles mesures pourraient apaiser les tensions ? Des « réformes institutionnelles » ; « la mise en place du RIC », le référendum d’initiative citoyenne (lire ici) ; « la baisse des salaires des députés » ; « la fin des violences policières » ; « la diminution de la TVA sur les produits de première nécessité », avancent entre autres les gilets jaunes que nous avons interrogés. Le grand débat ? « On se fout de notre gueule », exprime l’une d’entre elles. « Macron débat avec des gaz lacrymogènes et des matraques, dit Ludivine. On n’est pas dupes, même s’il nous prend pour des idiots. Le vrai débat se fait sur les ronds-points, pas dans les salles avec des petits fours. »
Participer à l’élection européenne offrirait-il une porte de sortie ? Dans la maison de quartier de La Pierre-Heuzé, ce samedi, l’initiative menée par Ingrid Levavasseur, une aide-soignante gilet jaune, est sévèrement critiquée par le jeune avocat. « Le Parlement européen n’a presque aucun pouvoir. On va aller renforcer le parti au pouvoir. Désormais, ces gilets jaunes se sont exclus du mouvement. Ils sont allés contre nos avis, donc ils ne font plus partis du mouvement. » L’avocat estime qu’il « faut sortir de la concurrence libre et non faussée » imposée par l’Union européenne.
« Il y a trois fois plus de lobbyistes que de parlementaires »
L’Union européenne est souvent pointée du doigt (...)
« Il faut sortir de l’Europe », conclut un autre. « Viser les étrangers comme étant la source de nos malheurs, c’est une erreur, prévient une femme. Les gros patrons sont très contents qu’on se batte entre nous. Depuis que je suis en France, je n’ai que quelques miettes qui me permettent même pas de survivre. La place des femmes dans le mouvement est essentiel. Elles nous permettent d’être empathiques et d’élargir notre lutte. » (...)
Une minute de silence est observée pour les blessés du mouvement. Jérôme Rodrigues, un gilet jaune médiatisé, blessé à l’œil à Paris, est dans tous les esprits. Une « marche blanche en hommage aux blessés et aux mutilés, victimes de la violence policière » se déroulera d’ailleurs à Paris, ce samedi 2 février. La grève générale, elle, sera testée le mardi 5 février, avec le ralliement de plusieurs organisations syndicales, dont la CGT et Solidaires, à l’appel de gilets jaunes.