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Mediapart
Fraude fiscale : la procédure opaque qui permet aux grandes entreprises de négocier
Article mis en ligne le 12 août 2022
dernière modification le 11 août 2022

McDonald’s, Kering, Google, Amazon, L’Oréal… Le règlement d’ensemble est une procédure opaque, sans base légale, qui permet aux grandes entreprises de négocier avec le fisc leurs redressements. Un rapport exigé par le Parlement et que publie Mediapart permet de constater que l’an dernier, le rabais accordé en 2021 a dépassé le milliard d’euros.

Dans toute la palette des modes de transaction avec le fisc, l’une des procédures les plus méconnues est le « règlement d’ensemble ». Elle ne figure pas dans le livre des procédures fiscales, n’a pas de base légale, mais elle permet à l’administration de négocier avec les entreprises et les contribuables. Et ce, non seulement sur les pénalités, mais également sur le montant des impôts dus. Depuis trois ans, Bercy a une seule obligation : remettre un rapport annuel sur le sujet. Et ce dernier, que Mediapart s’est procuré (y accéder ici), montre que la pratique a le vent en poupe dans une administration qui ne parle que de « droit à l’erreur » et qui favorise les transactions aux procès.

En 2021, il y a ainsi eu 306 règlements d’ensemble. Un chiffre qui a plus que doublé par rapport aux années précédentes (116 en 2019, 128 en 2020). Surtout, ce qui augmente, c’est le pourcentage des modérations consenties par le fisc : sur 1,5 milliard d’euros de droits et pénalités initialement réclamés dans ces 306 dossiers, l’administration a, au total, accepté une remise de plus de 1,1 milliard d’euros. 73 % de remises ! C’est bien plus qu’en 2019 (51 %) et 2020 (60 %). Ce rabais est essentiellement allé aux entreprises, l’impôt sur les sociétés étant, de loin, le plus concerné par les règlements d’ensemble. (...)

Le rapport n’indique pas le nom des entreprises et des contribuables concernés, secret fiscal oblige. La remise maximale accordée par le fisc en 2021 a été de 101,8 millions d’euros. Un montant important mais loin du record enregistré avec le règlement d’ensemble concernant Google en 2019 : plus de 523 millions. Le règlement avait permis à l’administration de sortir d’un mauvais pas : elle avait perdu son procès en cour administrative d’appel. Contre le paiement de un milliard par Google (la moitié au fisc, la moitié à la justice), le fisc avait accepté un rabais de 523 millions d’euros.

Une procédure opaque (...)

Outre Google, d’autres grosses sociétés ont récemment signé des règlements d’ensemble à six chiffres : ainsi, McDonalds a récemment transigé sur 1,2 milliard d’euros (737 millions payés au fisc, 500 millions à la justice pour l’amende pénale). Mediapart a également relaté le règlement accordé au groupe Kering et à la famille Pinault en 2020. En 2018, Amazon avait soldé par un règlement un contentieux fiscal à 200 millions d’euros, et l’année d’après L’Oréal avait payé plus de 300 millions d’euros et Carmignac 270 millions d’euros. (...)

Si Bercy consent dorénavant à donner quelques chiffres, c’est qu’il y a été contraint. À la suite d’un premier rapport de la Cour des comptes, la députée socialiste Christine Pirès Beaune, rapporteure spéciale sur les dégrèvements fiscaux, a demandé à l’administration des détails. Jointe par Mediapart, la députée revient sur ce sujet : « Ce qui m’a surprise, c’est l’absence de base juridique, quand les autres modes de transactions sont prévus par la loi. Surtout que les règlements d’ensemble sont la seule procédure où l’administration fiscale peut passer l’éponge sur le montant des pénalités mais également sur celui des impôts initialement dus ! »

Elle a donc fait voter, fin 2019, un amendement pour exiger la remise d’un rapport annuel. (...)

Selon les syndicats, depuis le milieu des années 2000, plus de 3 000 emplois ont été supprimés dans les services de contrôle. Bercy veut compenser ces baisses d’effectif avec les encaissements rapides, mais également par le data mining (exploration de données) et l’intelligence artificielle. Sauf que les résultats sont pour l’instant médiocres. En 2021, l’IA a ainsi été la source de 44,8 % des contrôles, mais seulement de 9 % des droits et pénalités notifiés par le fisc. Le data mining repère surtout les petites fraudes. Un projet phare, « Foncier innovant », développé par le cabinet de conseil Capgemini avec Google comme sous-traitant, vise à repérer les piscines non déclarées grâce à l’intelligence artificielle. Un projet qui permettra de supprimer 300 postes. Capgemini et Google : deux sociétés qui ont pu négocier leur redressement avec le fisc.