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Mediapart
France-Algérie : le rapport Stora privilégie une commission « Mémoire et vérité » à des excuses officielles
Article mis en ligne le 21 janvier 2021

Dans son rapport sur la colonisation et la guerre d’Algérie remis mercredi à l’Élysée, l’historien Benjamin Stora préconise une commission « Mémoire et vérité » pour impulser des initiatives mémorielles de part et d’autre de la Méditerranée. Mais déconseille au président Macron des excuses officielles.

C’est un rapport éminemment sensible dont la remise officielle a plusieurs fois été repoussée. Au point que son auteur s’en était inquiété, craignant que sa mission soit devenue encombrante pour son commanditaire, Emmanuel Macron, président d’une République où le premier ministre clame à la télévision que « nous » n’avons pas à « nous autoflageller, regretter la colonisation, et je ne sais quoi encore ». Le rapport est enfin public.

Ce mercredi 20 janvier, l’historien Benjamin Stora a remis à l’Élysée ses travaux sur « les mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie », ainsi que ses propositions en vue de favoriser « la réconciliation entre les peuples français et algérien ». La remise a eu lieu en comité restreint en fin d’après-midi, la semaine où a démarré à l’Assemblée nationale l’examen du projet de loi « séparatisme » (ou « confortant le respect des principes de la République »). La semaine aussi où l’exécutif s’est enorgueilli d’avoir imposé « une charte des principes pour l’islam de France ». Un agenda qui ne doit rien au hasard. (...)

Dans son discours en octobre aux Mureaux (Yvelines), Emmanuel Macron avait déclaré que « le séparatisme islamiste » était en partie « nourri » par les « traumatismes » du « passé colonial » de la France et de la guerre d’Algérie, qui « nourrit des ressentiments, des non-dits » « toujours pas réglés ». (...)

Au risque de servir la dépolitisation de la question coloniale qui provoque des débats d’une ampleur inédite et se trouve au cœur du renouveau du mouvement antiraciste, Benjamin Stora se refuse cependant à prôner tout grand discours officiel symbolique d’excuses, ce que réclament les autorités algériennes depuis plusieurs années.

L’Élysée s’en réjouit : « C’est un des grands apports du rapport de Benjamin Stora. Il n’est pas question de repentance, de présenter des excuses. La repentance est vanité ; la reconnaissance est vérité. Et la vérité, elle se construit par les actes. »

L’entourage du président rappelle les propos prononcés à Alger par Emmanuel Macron candidat à la présidentielle, lorsqu’il a dénoncé en 2017 la colonisation comme « un crime contre l’humanité, une vraie barbarie » : « Le président ne regrette pas ses propos qui ont créé des polémiques franco-françaises qui renvoient à la nécessité de regarder cette histoire en face. Ayant dit cela, que pouvait-il dire de plus ? Il n’y a rien à dire de plus. En revanche il y a beaucoup à faire. »

« Faire des discours, cela a été fait mais après, chacun rentre chez soi, il ne se passe pas grand-chose. Mon rapport est réformiste, ce n’est pas un texte révolutionnaire pour dénoncer les crimes du colonialisme qui l’ont déjà été de Césaire à Macron », abonde auprès de Mediapart Benjamin Stora, qui « veut avancer concrètement plutôt que perdre du temps à s’empailler idéologiquement ».

Sur ce point, l’historien se prépare aux critiques d’une partie de la gauche et assure ne pas chercher à satisfaire ceux qui pensent, comme à l’extrême droite et à la droite de l’échiquier politique, à l’image du premier ministre Jean Castex, que la France n’a pas à « s’autoflageller, regretter la colonisation ». « Tout le sens de mon rapport est la dénonciation du système colonial. Tout le long du rapport, j’explique que le colonialisme a été condamné comme un crime dans de multiples discours présidentiels français. Pourquoi donner argument à l’extrême droite en parlant de “repentance” pour la laisser détruire l’ensemble du rapport, alors que moi je veux avancer pratiquement ? L’extrême droite n’attend que cela, que j’utilise le mot fétiche – repentance –, un mot qu’elle nous a imposé comme des écrans, des murs, pour ne pas affronter la réalité du passé colonial. Je ne leur ferai pas ce cadeau. » (...)

« Le Japon s’est déjà excusé dix fois mais ils n’ont rien changé à leur manière de concevoir la question coloniale en Chine et en Corée, confie à Mediapart le chercheur. Ils n’ont pas fait d’indemnisation. Ils n’ont rien réparé. Ils ont même honoré des criminels de guerre. Les Américains ont fait cela aussi avec le Vietnam. S’excuser tout le temps, qu’est-ce que cela change au comportement de la société américaine ? Rien du tout. » (...)