
Dans cet interview, l’auteur de l’ouvrage « Briser le blocus de Gaza » paru en 2013 aux éditions 7 Ecrit, revient sur les conditions expliquant pour une part que l’opération « Flottille de la Liberté » lancée en 2011 n’ait pu être menée à son terme. Cette initiative succédait à la tentative du navire Mavi Marmara – noyée dans le sang par les Israéliens – de forcer le blocus de Gaza en mai 2010.
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Je suis retraité de la Marine Marchande depuis 2004, après une carrière de plus de 33 ans passée en mer. Diplômé des études supérieures de la Marine Marchande, Capitaine Polyvalent de 1ère classe (pont & machine), j’ai effectué toute ma carrière au sein de la même compagnie, la « Transat » (Compagnie Générale Transatlantique) pendant 11 ans de long cours, puis muté en 1981 à la SNCM (Société Nationale Corse Méditerranée,) filiale de la CGM (Compagnie Générale Maritime) née de la fusion entre la CGT et les Messageries Maritimes.
Pendant 22 ans j’ai assuré les liaisons régulières avec la Corse et l’Afrique du Nord.
Un des très rares syndiqués comme commandant-ingénieur, j’ai été le représentant syndical de l’UGICT, pour la Commission Paritaire, chargé de défendre les intérêts des officiers et de la sauvegarde du Statut des États Majors.
Pour accepter et assurer la mission de la « Flottille de la Liberté » il fallait être disponible et au fait du conflit israélo-palestinien. Charles Narelli (ancien secrétaire général de l’UGICT) a de suite pensé à moi. J’ai accepté à la seule condition que personne, ni rien ne m’oblige à faire quoi que ce soit qui soit contraire au Droit Maritime ou qui mette en danger, mon équipage, mes passagers ou le navire. (...)
Il faut se souvenir qu’avant 2008, plusieurs petites expéditions avaient déjà réussi à briser le blocus de Gaza, comme les deux petits bateaux « Free Gaza » et « Liberty » menés sous l’égide du Mouvement Free Gaza, avec pour coordinateur Pissias Vangelis, prof d’Université à Athènes, ancien leader de la révolte étudiante contre la dictature des colonels en Grèce dans les années 1970.
Mais monter une flottille internationale avec des ferries et navires marchands demande alors des compétences maritimes techniques et juridiques incontournables.
Or, lors de notre première réunion internationale d’Athènes des 29 et 30 janvier 2011, sur plus de 20 pays représentés, seuls 2 possédaient un véritable professionnel de la mer : la Suède avec un commandant de ferries et moi même. Nous avons pu partager tous les deux une soirée et nous apercevoir que nos conceptions de ce projet étaient très proches et que nous aurions beaucoup de difficultés à « imposer » cette rigueur maritime indispensable pour avoir un minimum de chance de réussir.
Avant de se lancer dans un défi d’une telle ampleur, il aurait fallu faire l’inventaire des étapes à mettre en place dans cette opération, mais la très grande majorité des participants étaient des braves militants qui n’avaient aucune connaissance des problèmes de la vie maritime.
Malheureusement il y avait aussi dans cette organisation des aventuriers irresponsables et qui n’ont pas voulu écouter nos conseils. (...)
Malgré cet échec maritime, le bilan n’aura tout de même pas été négatif. Je partage tout à fait le compte rendu de Jean François Courbe. D’une part, le formidable élan de générosité en France, a permis de réunir plus de 800.000€. Jamais une telle mobilisation n’avait eu lieu en faveur de la cause palestinienne.
Notre objectif aussi de mener une campagne contre le blocus de Gaza a été atteint. Jamais autant de politiques ont soutenu notre action. Cette campagne aura été un véritable acquis pour le mouvement de solidarité en faveur de la Palestine. Mais la « Flottille de la Liberté » ne concernait pas que la liberté des habitants de la bande de Gaza.
Elle a porté aussi le drapeau de nos libertés à toutes et à tous face à un ordre mondial qui utilise l’état d’Israël pour tester les nouveaux outils de répression, de contrôle et de remise en cause du droit, utilisés hier contre le peuple palestinien, aujourd’hui contre les migrants et demain contre tous ceux qui refuseront de se résigner face à la violence, l’injustice ou la loi du plus fort. (...)
C.P : Si un tel projet de Flottille voyait à nouveau le jour, quelles seraient les premières conditions d’un possible succès ?
L. Gouésigoux : J’explique cette éventualité en fin de récit. L’une des premières conditions serait de désigner d’abord un Directeur de Projet entouré de « spécialistes » dans les domaines juridiques, maritimes, économiques ou administratifs.
Ce directeur, en relation directe avec le Collectif de coordination participe aux différentes réunions et aux décisions à prendre. Les « spécialistes » étant surtout là pour lui soumettre leurs idées, mais surtout pour travailler davantage sur le terrain, sans perdre trop de temps en réunions.
De plus, pour qu’une telle flottille réussisse, il faudrait au moins une vingtaine de bateaux qui se rassemblent en haute mer pour former une ligne de navires sur les 40 km de littoral de la bande de Gaza pour arriver de conserve sur zone. Il serait alors quasi impossible aux navires militaires d’arraisonner tous ces bateaux en même temps, et de mettre en prison 1000 à 1200 militants de tous pays.
Dans ces conditions, certainement qu’un ou plusieurs bateaux pourraient alors symboliquement briser ce blocus.
Mais d’autres pistes sont aussi possibles (...)