
Fin mai 2015, un incendie abîmait la Métairie neuve, centre névralgique de la Zad de Sivens. Trois jours plus tard, elle était rasée sur l’ordre des autorités. Pour les membres du Comité Sivens, cette destruction était illégale à plus d’un chef. Ils ont plainte contre Claude Derens, le procureur d’Albi. Le jugement est attendu ce 30 juin
Si , parcourant la forêt de Sivens, vous débouchez sur la petite vallée du Tescou que longe la minuscule D132, vous n’y trouverez pas la moindre trace de la bataille tragique qui s’y est déroulée il y a plus de deux ans. Sous les chardons et les pousses de saules, seuls les familiers des lieux ou de la lutte retrouveraient la dalle d’argile réalisée en vue du barrage où est tombé Rémi Fraisse dans la nuit du 25 octobre 2014. Un an plus tard, pour commémorer la mort du jeune homme, un groupe d’artistes y avait érigé une belle sculpture en pierre et roues de charrette en bois cerclées d’acier de 1,8 tonne et plus de 2 mètres de haut. Mais, malgré ses dimensions imposantes, le monument a vite disparu — vraisemblablement évacué par des riverains « probarrage ». (...)
Manœuvre décisive dans cette véritable guerre d’effacement livrée par ces « probarrages » et les pouvoirs locaux : la destruction de la Métairie neuve, centre névralgique de la Zad entre 2013 et 2015. Il y a encore deux ans, ce vaste corps de ferme du XVIIIe, propriété du conseil départemental, comportant maison, four à pain et dépendances, structurait toute la vallée. Il n’en reste pas une pierre. Fin mai 2015, quelques semaines après l’expulsion de la Zad, le bâtiment, dont le plan local d’urbanisme (PLU) de la commune de Lisle-sur-Tarn interdit formellement la destruction, a été victime d’un mystérieux incendie volontaire puis, immédiatement après, rasé sur ordre des autorités du Tarn.
« L’ex-préfet du Tarn Thierry Gentilhomme, le président du conseil départemental, Thierry Carcenac, aujourd’hui sénateur, et la maire de Lisle-sur-Tarn, Marilyn Lherm, sont allés très loin dans l’illégalité pour détruire la Métairie neuve, résume Fabienne Egidio, membre du Comité Sivens, un groupe de Tarnais qui multiplie les actions en justice depuis la démolition du bâtiment. Cette ferme était le symbole de la lutte, à qui la justice a finalement donné raison en annulant la déclaration d’utilité publique du barrage. C’était aussi un rappel tangible d’un crime policier resté impuni, la mort de Rémi Fraisse. » Plus concrètement, les commanditaires de la destruction voulaient rendre toute réoccupation impossible, n’ayant pas — à ce jour — renoncé à faire construire un barrage.
« On s’est aperçu que le procureur était lui aussi directement mêlé à la destruction de la Métairie neuve » (...)
Fabienne Egidio et Christiane Savary viennent de porter plainte contre le procureur d’Albi en personne, Claude Derens, pour « complicité de destruction de biens en réunion », « entrave à la justice », « abus d’autorité » et « complicité de violation d’un règlement d’urbanisme ». « Rien d’étonnant à ce qu’aucune de nos plaintes n’ait abouti en deux ans ! s’exclame Christiane. Petit à petit, en obtenant des dates et des pièces, à mesure de l’avancement des procédures, on s’est aperçu que le procureur était lui aussi directement mêlé à la destruction de la Métairie neuve. » (...)
"Comment un procureur peut-il donner son feu vert à la destruction de bâtiments protégés par la loi 24 h après un incendie criminel ? demande maître Bernard Viguié. Comment justifier la destruction de scellés avant le classement d’une affaire ? Le fait pour un magistrat d’utiliser son pouvoir pour empêcher l’application des lois et commettre des délits est particulièrement grave. On a là quatre délits caractérisés, dont un est passible de dix ans d’emprisonnement. Claude Derens devrait d’ores et déjà faire l’objet d’une mesure suspensive et ne plus être autorisé à siéger au tribunal. »
Contactée par Reporterre, Monique Ollivier, procureure générale de Toulouse, préfère ne pas commenter la plainte contre le procureur Derens. Quant à l’arrêté de péril justifiant la destruction de la Métairie neuve, il a été attaqué par des membres du Comité Sivens au tribunal administratif, qui rendra son jugement le 30 juin. Y aura-t-il un juge suffisamment courageux pour transformer un sénateur, un ancien préfet et un procureur en délinquants ?