
Depuis le 4 juillet, les rassemblements nocturnes sur le campus de l’Université de Strasbourg sont interdits. Cette décision prive les étudiants d’un lieu de sociabilité important, mais de nombreux jeunes décrivent des dérapages, entre dégradations, violences et sentiment de liberté retrouvée.
C’est l’unique parc strasbourgeois ouvert 24 heures sur 24, et tous les jours de la semaine. La police ne peut pas, en principe, y pénétrer sans l’autorisation de la présidence de l’Université. On appelle ça la franchise universitaire. Mais depuis le 4 juillet, et jusqu’à nouvel ordre, les rassemblements y sont interdits entre 22h et 6h. Exerçant les pouvoirs de police attribués aux présidents d’universités, Michel Deneken, président de l’Université de Strasbourg, essaye de contenir une situation qui semble lui avoir échappé. (...)
Ce soir-là, des centaines de personnes se sont réunies malgré la pluie. En fonction des témoignages, le nombre de participants varie entre 400 et 2 000 personnes. « J’ai vu des vidéos en direct, il était minuit, et j’avais envie de danser, alors j’y suis allé, » se souvient le jeune homme. Un rassemblement massif et organisé sur les réseaux sociaux, lorsque la fête de la musique avait été officiellement circonscrite aux bars et salles de spectacles.
« Dès que je suis arrivé vers la Krutenau, j’ai entendu de la musique, » raconte Victor. Et plus le campus approche, plus la musique s’intensifie. En bas de la bibliothèque l’Alinéa, un premier groupe avec un caisson de basse, un générateur et des platines. Plus loin, des petits groupes improvisent quelque notes. Devant la cafétéria des sciences, un autre système sonore diffuse la musique d’un téléphone. Enfin, dans le parking en face, sous les lumières blanches du stationnement, une piste de danse improvisée. (...)
« Pendant la période covid, c’était le paradis ici, » se souvient Victor, qui y retrouvait régulièrement ses amis. Un havre de paix au sein duquel étudiants et passants se côtoient nuit et jour, autour d’une bière, d’une partie de foot ou d’une enceinte. Et si la fête du 21 juin était particulièrement marquante, des rassemblements festifs ont régulièrement lieu sur le campus depuis le milieu du mois de mai.
« Je ne suis allé que deux fois à des soirées là-bas, mais c’était systématiquement chaotique, » raconte Pierre, ingénieur du son tout juste diplômé. « C’était surréaliste, » insiste-t-il. Même s’il comprend le besoin d’extérioriser ses sentiments après le confinement, il constate que l’ambiance n’est plus la même que les années précédentes. Martine, 24 ans, complète : « Le campus n’a pas changé, c’est le contexte qui a changé. » L’étudiante en master d’enseignement passe beaucoup de temps là-bas, aussi bien en journée qu’en soirée, voire au petit matin. Et ce depuis son arrivée à Strasbourg, en 2015. « En fonction de l’endroit où l’on va sur le campus, les ambiances sont très différentes, mais tout le monde est souvent très poli et sympathique, » décrit-elle. « Puis c’est devenu glauque. » (...)
Les participants sont des étudiants, mais aussi des lycéens, parfois très jeunes. « Le 21 juin, un garçon cherchait sa carte d’identité car il avait une épreuve du BAC le lendemain », se souvient Victor. Quant au type de public et au style de musique, il y a de tout : de l’électro commerciale à la techno, en passant par des classiques de boîte de nuit. Sur un compte Instagram, suivi par plus de 2 000 personnes, les vidéos des soirées sur le campus ressemblent fort à celles d’une piste de danse d’un club – stroboscopes en moins. (...)
Parmi les dégradations constatées, des bris de vitres et intrusions dans les locaux de l’université. Mais lorsque certains veulent sortir du mobilier des salles de cours, d’autres les en dissuadent. (...)
Le 19 juin, Jony fait partie des 200 personnes qui dansent sur le campus. Vers 3h du matin, la police intervient sans sommation. « Ils étaient à pied, en voiture et à scooter, et ils ont commencé à nous frapper. C’était très violent », se souvient-il.
L’interdiction suite à des débordements
Dans un courriel adressé au personnel de l’université, le président Michel Deneken déplore des dégradations sur le campus ainsi que les déchets qui jonchent les sols depuis le retour de l’été. Car la fête de la musique sur le campus a aussi été le théâtre de dégradations : effractions, vols, extincteur vidés et ordures parsemées.
L’arrêté du 30 juin interdit donc les rassemblements et les manifestations festives non autorisées au préalable par le président ou par l’un de ses représentants. Il est aussi question de respecter la salubrité du lieu, c’est à dire ramasser ses déchets. Le non respect de ces mesures pourra être communiqué au service de police, et faire l’objet de sanctions disciplinaires.
Quand elle croise les agents de nettoyage le lendemain d’une fête, Lucie leur présente ses excuses. « Les pauvres nettoient tout et ça recommence le lendemain, nous on ramasse toujours nos trucs, » regrette-t-elle. Alors qu’en festival ou en rave, le respect du lieu est essentiel, ne serait-ce que pour pouvoir y retourner. « C’est la base de prendre soin des lieux dans lesquels on fait la fête, » estime Victor. Pour inciter à respecter la salubrité du lieu, l’université va « renforcer la signalétique et le dispositif de poubelles, » avec la présence d’ambassadeurs propreté et une campagne de sensibilisation à la rentrée. (...)
« Une mesure de prévention », pour l’Université
« Il s’agit en effet d’une mesure de prévention des troubles à l’ordre public, non d’une interdiction de se balader ou de se retrouver sur les espaces en petit groupe, » précise l’université. Tout comme elle insiste sur le fait que l’interdiction ne sera en vigueur que jusqu’à la rentrée universitaire. Dans le texte de l’arrêté, il est pourtant mentionné que les mesures prises sont applicables jusqu’à nouvel ordre. (...)
Jérôme, 27 ans et ancien étudiant en sécurité, considère que l’interdiction est un dernier avertissement de l’université. Lorsqu’il discute avec les agents de sûreté, ceux-ci lui font part de leur dépit. « Ils n’ont plus les moyens de veiller à la sécurité, lorsqu’ils appellent la police, elle ne vient quasiment jamais, » explique-t-il.
Un désir collectif de médiation
Le problème, ce sont ces violences, nouvelles, qui perturbent le campus. « On est beaucoup à penser que l’interdiction est normale, poursuit Martine, on ne peut pas laisser les choses en l’état. » « Ils étaient obligés d’interdire, pour mettre un coup de pression aux étudiants, » complète Lucie. « Mais je suis déçue par les jeunes de Strasbourg », soupire-t-elle. Elle aimerait retrouver la bienveillance qu’elle constatait les années précédentes. (...)
Le soir du 21 juin, quelques fêtards brisent une vitre et commencent à voler du matériel, d’autres leur demandent de le remettre à leur place. La faute au contexte ? « Avec la fermeture des quais, on est de plus en plus nombreux à aller sur le campus, » explique Lucie.
Son idée pour retrouver le lieu de rencontre qu’elle appréciait : renforcer la sécurité sur le campus mais à la manière d’un festival, dans la médiation plus que dans la répression. La présidence de l’université dit aussi vouloir explorer cette piste, avec la présence de médiateurs santé, mais uniquement lors des rassemblements organisés et autorisés. (...)
d’après Martine, la vidéosurveillance et la répression ne feront que déplacer le problème. « On ne sait pas qui est la minorité violente, » assène-t-elle. « Et ceux qui mettent une mauvaise ambiance ici, iront le faire ailleurs » poursuit-elle. Un sentiment confirmé par certaines études sur l’installation de caméras de surveillance, pointant que leur présence entraîne quasi-systématiquement un « déplacement de la délinquance. » Si un autre appel à se rassembler à été lancé sur les réseaux sociaux, le lieu a été changé le soir même, à cause d’une trop grande présence policière sur les lieux.