
Faute de soignants, plusieurs services d’urgences de France ferment ou réduisent leur activité. Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes hospitaliers de France, tire la sonnette d’alarme face à une situation qu’il qualifie de « catastrophique ».
Situation de crise dans les hôpitaux. Éreintés par deux années de Covid-19 et confrontés à un manque de personnels, plusieurs CHU ont été contraints de fermer leurs services d’urgences, notamment la nuit, ou d’en réduire l’activité. "Nous estimons que cela concerne à peu près une centaine de services d’urgences sur les 690 que compte la France", assure Patrick Pelloux.
Le président de l’Association des médecins urgentistes hospitaliers de France revient pour Ouest-France sur la situation et propose des solutions pour y remédier. (...)
Patrick Pelloux : La situation est catastrophique. Je n’accuse pas les personnels mais les pouvoirs publics qui veulent créer une situation de chaos pour fermer des structures. Il y a un phénomène de « grand renoncement » avec des personnels qui sont totalement désabusés et qui n’adhèrent plus à l’idée collective et fédérative qu’est l’hôpital public.
Comment expliquer ce « grand renoncement » ?
Cela s’est accéléré avec la pandémie. On a demandé aux hôpitaux de ne se consacrer qu’au Covid-19, avec une charge très inégalitaire entre les régions. Le système a été déstabilisé et les personnels ont été un peu abandonnés après avoir énormément travaillé. (...)
Le Ségur de la santé n’a-t-il pas eu l’effet escompté ?
Il a été sans effet. L’augmentation de salaire de 183 € par mois était insuffisante puisqu’elle ne rattrapait même pas la baisse de pouvoir d’achat des vingt dernières années. Nous sommes toujours le 18e pays de l’OCDE en ce qui concerne le salaire des infirmières.
Faut-il mettre en place une obligation de garde pour les médecins libéraux ?
C’est une certitude mais elle ne doit pas concerner que les médecins généralistes. Il faut obliger tous les médecins, y compris des cliniques privés, à participer à la permanence de soin. Les pouvoirs publics ont laissé les chirurgiens quitter le secteur public pour le privé. Aujourd’hui, si vous avez une fracture ouverte, vous ne trouvez personne qui peut s’en occuper. Dans le secteur public, il n’y a pas assez de lits et rarement des chirurgiens. Dans le secteur privé, les chirurgiens travaillent le plus souvent aux heures ouvrables de la semaine. Ils gagnent beaucoup d’argent et cela ne les encourage pas à travailler le soir ou le week-end.
Comment s’annonce l’été ?
Cela va être atroce, du jamais vu. Nous allons avoir des décès inopinés et involontaires dans les structures. (...)
Pour l’instant, nous n’avons plus de ministre de la Santé, nous sommes entre deux élections et nous savons qu’aucune décision ne sera prise. C’est terrifiant. (...)
Faut-il réintégrer les soignants non-vaccinés ?
Bien sûr. Nous sommes en pleine tempête, il faut que tout le monde vienne sur le bateau. Nous devons comprendre pourquoi ils ne se sont pas fait vacciner et réfléchir à intégrer le Covid-19 dans l’obligation des vaccins mais, là, tout de suite, il faut les réintégrer.
Y a-t-il d’autres solutions ?
Nous devons valoriser le travail de nuit et les gardes en créant une égalité de salaire pour tous. Aujourd’hui, les médecins libéraux qui font des gardes de nuit peuvent défiscaliser jusqu’à 60 jours par an. Ce n’est pas le cas pour les médecins hospitaliers et cela crée un problème d’égalité. Le travail de nuit fait baisser l’espérance de vie et aggrave les maladies chroniques (...)
De nouveaux modèles de managements ont émergé dans le secteur privé mais l’hôpital public n’a pas muté. Nous sommes toujours avec un système de management très archaïque, qui remonte au milieu du XXe siècle et qui repose sur l’humiliation. Nous devons y mettre de la bienveillance avec un management de proximité. (...)
Aujourd’hui, nos hôpitaux fonctionnent grâce à l’importation de médecins étrangers, venus d’Algérie, de Tunisie ou encore de Roumanie. Sans eux, les hôpitaux ferment. Et d’un autre côté, vous n’avez pas assez de place pour les jeunes français dans les études d’infirmières ou de médecine. Il faut obliger les doyens des facultés à augmenter de 50 % le nombre d’étudiants reçus en première années de médecine. Il faut aussi rémunérer les infirmières, les aides-soignants et les ambulanciers quand ils sont dans leur deuxième ou troisième année de formation.
Qu’est-ce que cette crise dit de notre société ?
Nous sommes dans une société qui ne tourne plus rond et dont la valeur cardinale est l’argent. Le désengagement de l’État dans le service public et le manque d’organisation, ce sont les plus faibles, les personnes âgées et les handicapés qui vont le payer.