
Donc (retour à l’épisode précédent) : pensons notre heure à partir de la proposition de Friot, et pour trois raisons. 1) Elle répond directement aux deux principes de soustraire les hommes à la précarité, et la planète à la destruction ; 2) Elle instaure au surplus la souveraineté des producteurs en abolissant la propriété lucrative ; 3) C’est une proposition macrosociale, donc à la hauteur des enjeux de la division du travail, mais pensée pour être diffractée à toutes les échelles et faire leur plein droit aux auto-organisations locales.
Dans cette proposition d’ensemble, des choses peuvent être mises en place instantanément : toutes celles qui ont à voir avec le statut de la propriété (abolition de la propriété lucrative, instauration de la propriété d’usage), la suppression du marché du travail capitaliste et son remplacement par le système « salaire à vie / qualification », l’institution juridique de la souveraineté politique des collectifs de production. D’autres choses offrent des difficultés plus importantes, notamment tout ce qui relève de la transformation radicale du financement de l’investissement. Car, radical, le schéma de Friot n’oublie pas de l’être en cette matière qui propose de confier la totalité du financement à la cotisation, via une caisse dédiée (la caisse économique), c’est-à-dire d’en finir purement et simplement avec la dette.
Il y a de très sérieuses raisons à l’appui de cette radicalité. Pour autant, l’idée d’une « économie » dans laquelle il n’y aurait plus ni marchés financiers ni même simples banques de crédit, fait partie de ces choses que le poids de l’histoire du capitalisme et surtout le matraquage idéologique des « évidences » nous ont rendues impensables, et infigurables. Ici, la vertu du « déjà-là » est d’un grand secours, puisque le précédent de l’investissement hospitalier intégralement financé par la seule cotisation (jusqu’à ce que le néolibéralisme décide de détruire l’hôpital par la dette obligataire, précisément) atteste une possibilité. Mais cette attestation a été brouillée avec le temps dans la conscience commune, et le règne de la finance s’est imposé comme une nécessité quasi-naturelle (...)
Dans cette proposition d’ensemble, des choses peuvent être mises en place instantanément : toutes celles qui ont à voir avec le statut de la propriété (abolition de la propriété lucrative, instauration de la propriété d’usage), la suppression du marché du travail capitaliste et son remplacement par le système « salaire à vie / qualification », l’institution juridique de la souveraineté politique des collectifs de production. D’autres choses offrent des difficultés plus importantes, notamment tout ce qui relève de la transformation radicale du financement de l’investissement. Car, radical, le schéma de Friot n’oublie pas de l’être en cette matière qui propose de confier la totalité du financement à la cotisation, via une caisse dédiée (la caisse économique), c’est-à-dire d’en finir purement et simplement avec la dette.
Il y a de très sérieuses raisons à l’appui de cette radicalité. Pour autant, l’idée d’une « économie » dans laquelle il n’y aurait plus ni marchés financiers ni même simples banques de crédit, fait partie de ces choses que le poids de l’histoire du capitalisme et surtout le matraquage idéologique des « évidences » nous ont rendues impensables, et infigurables. Ici, la vertu du « déjà-là » est d’un grand secours, puisque le précédent de l’investissement hospitalier intégralement financé par la seule cotisation (jusqu’à ce que le néolibéralisme décide de détruire l’hôpital par la dette obligataire, précisément) atteste une possibilité. Mais cette attestation a été brouillée avec le temps dans la conscience commune, et le règne de la finance s’est imposé comme une nécessité quasi-naturelle (...)
C’est pourquoi il n’est pas inutile, pour armer les résolutions, de commencer par redire un peu précisément le poison qu’est la finance néolibérale, afin d’établir comme un impératif catégorique l’idée d’en euthanasier les institutions. Et d’ancrer l’idée suivante qu’il n’y a aucun progrès social possible hors leur complète destruction. Codicille au passage : le tiers du quart de ce qui suit vaut expulsion de l’euro, ça va sans dire. C’est tant mieux : aucune perspective progressiste, a fortiori anti-capitaliste, ne peut avoir l’idée aberrante d’y rester.
Les fléaux de la finance néolibérale (...)
Elle est presque à elle seule — il y a la concurrence aussi — la source du double fléau néolibéral, celui qui détruit les salariés du privé sous la contrainte de la rentabilité, celui qui détruit les services publics sous la contrainte de l’austérité. Le premier est lié au pouvoir des actionnaires formé dans le marché des droits de propriété, le second au pouvoir des créanciers formé dans les marchés obligataires.
Contrairement à ce qu’on croit spontanément, le pouvoir des actionnaires n’est pas un pouvoir de bailleurs. À l’envers de ce qui est répété par tous les appareils de l’idéologie néolibérale, les actionnaires apportent finalement si peu d’argent aux entreprises que celles-ci ne dépendent que marginalement d’eux pour leur financement (1). Mais alors par où chemine la coercition actionnariale ? Par les voies souterraines des transactions sur le marché des actions où se joue le contrôle de la propriété. Donc par les voies de la soumission aux décrets de l’opinion financière. (...)
Si le pouvoir des actionnaires s’exerce par les médiations subtiles du contrôle capitalistique, celui des créanciers, lui, procède par les voies usuellement brutales de l’apporteur de fonds : le prêteur. Et par un autre compartiment de la finance : le marché obligataire. Compartiment différent mais coercition semblable par la normalisation : une fois que les investisseurs se sont fait leur idée de ce que doit être une bonne politique économique, les gouvernements qui ne s’y plient pas connaîtront des taux d’intérêt en folie — et la certitude de l’échec. (...)
Tout ce que la société présente compte de malheur, malheur des salariés maltraités, malheur des fonctionnaires « néomanagés », malheur des services publics détruits remonte pour l’essentiel à ces deux formes du pouvoir de la finance. En première instance, donc, « la finance », c’est ça. Et « ça » doit être fermé. (...)
. Conceptuellement parlant, par finance, il faut entendre l’ensemble des institutions et des procédés qui permettent temporairement à certains agents économiques de dépenser plus qu’ils ne gagnent. Et c’est tout (...)
La dette comme servitude et comme « cliquet à croissance » (...)
Le despotisme est plus modéré (relativement parlant…) quand il est coulé dans des formes exclusivement bancaires, où l’avance prend la forme unique (ou dominante) du crédit. Moindre mal si l’on veut, mais mal quand même — les consommateurs endettés ou les petites entreprises sont bien placés pour le savoir. (...)
Pour les entreprises, la servitude de la dette devient un esclavage de la croissance. Car, de la dette, il n’y a de sortie que par le « haut » — à supposer que la métaphore verticale soit la bonne : on pense plutôt à la cage du hamster. En effet, passé le moment de son lancement, c’est-à-dire de l’avance en quelque sorte « originelle », une entreprise ne contracte de la dette (hors motifs de trésorerie et de survie) que pour investir. C’est-à-dire aller à la rencontre d’une extension anticipée de ses marchés. Donc croître. Mais cette croissance est un aller sans retour. (...)
Quitte d’ailleurs à ce que, au nom de second tour d’extension, on contracte un second tour de dette. Etc. La dette est le cliquet caché de la croissance, l’aiguillon de la fuite en avant permanente. Or la dette est l’instrument capitaliste du financement des producteurs. Et cela même qui les enchaîne à l’obligation de croître. Les amis de la « décroissance » qui ne sont pas capables d’articuler « sortie du capitalisme » sont des rigolos.
Contre la finance : la subvention
Le système de la cotisation générale, lui, ne rompt pas seulement avec la finance néolibérale, dominée par les marchés de capitaux, bras armé des investisseurs et du pouvoir actionnarial. Il rompt avec la finance tout court, comme système de l’avance en attente de retour. Donc avec l’infernal cliquet à croissance. On pouvait déjà démontrer, mais depuis l’intérieur de la logique capitaliste et du point de vue des entreprises même, la possibilité de fermer la Bourse (stricto sensu la Bourse désigne les seuls marchés d’actions), donc d’en finir avec le pouvoir des actionnaires. Au point où nous en sommes, la satisfaction intellectuelle des arguments a fortiori n’est plus tout à fait indispensable. Il faut fermer la Bourse, point. Et pas qu’elle : les marchés financiers de toutes les autres sortes. Et puis le système de l’avance repayable dans sa totalité. (...)
Abattre les institutions de la finance
Finalement, le problème, ou le reste à penser, n’est pas tant l’état final que la transition pour y parvenir depuis là où nous sommes. Problème moins simple que celui de l’institution immédiate des nouvelles formes de la propriété productive : car, par construction, la finance capitaliste nous laisse sur les bras ses stocks. À savoir les dettes des uns et les épargnes des autres. Or les stocks demandent du temps pour être résorbés. (...)
. On se souvient comment le nœud gordien a été « résolu » : tranché par un coup de sabre. Ici, pareil. C’est que toutes ces institutions, à la fin des fins, il s’agit de les faire crever. Mais alors si tel est l’état terminal désiré, autant y procéder dès le début du début.
Il ne faut pas cacher le léger désordre que le coup du nœud gordien propagera partout où les structures financières néolibérales, et son ordre de la dette, sont maintenus, c’est-à-dire à l’extérieur — en première approximation on n’y prêtera pas grande attention parce que pour l’instant, on s’occupe de ce qu’on peut faire là où on peut le faire et, par hypothèse, c’est ici. Sans doute aussi, il y aura du trader et du banquier d’affaire sur le carreau — mais on peut songer aux armées de chômeurs, de précaires et de suicidés qu’ils auront contribué à former pendant les décennies de leur toxique industrie, et retenir ses larmes. D’ailleurs la société communiste, bonne fille, leur accordera, comme à tout le monde, les droits du salaire à vie — enfin à ceux qui n’auront pas fui à l’étranger, que nous ne regretterons pas, à qui même nous aurons tenu la porte. (...)
Le règlement de la question de l’épargne commencera donc sans doute avec des plafonds. En dessous desquels les épargnes resteront à leurs épargnants. Et au-dessus desquels, quoi ? Confisquées ou annulées ? La cohérence plaiderait pour l’annulation : le seul motif de la confiscation (par la puissance publique) serait un motif de « réserve » comme capacité de financement, mais il est contradictoire avec l’idée de s’affranchir radicalement de la logique de l’avance avec retour. De la réserve pour quoi si tous les investissements sont, non plus financés, mais subventionnés par les caisses ? Et s’il était besoin d’un supplément d’allocation, au-delà des ressources de la caisse économique, une pure création monétaire scripturale ferait l’affaire, parfaitement équivalente puisqu’il s’agirait dans les deux cas d’injections de pouvoir d’achat hors du circuit de la cotisation et (dans un cas comme dans l’autre) hors toute contrainte de remboursement (2).
Les épargnes du passé (du moins celles d’entre elles qui n’auront pas été annulées) n’entreront plus dans aucun circuit de financement, elles seront simplement restituées et conservées, telles quelles, par quelque institution ad hoc de pur dépôt (custodian), pour ne répondre qu’au motif d’acquisition future de biens durables par les personnes privées. Et de même les épargnes qui continueront d’être formées à partir du revenu du salaire à vie. Aucune de ces épargnes ne sauraient en effet, en attendant le moment de leur dépense effective, être transférées (i. e. prêtées) à d’autres agents, sauf à recréer les catégories de la créance et de la dette, donc les figures du débiteur et du créancier (...)
À ceux qui vont s’évanouir de voir revenir « l’austérité du socialisme », il faut rappeler les termes du deal — qui est un lot : d’un côté, en effet, le renoncement aux attractions de la marchandise capitaliste (dès lors que l’essentiel est garanti), l’abandon du dernier cri, l’effort de trouver avec quoi d’autre remplir les existences ; de l’autre en finir avec la hantise de l’existence matérielle précarisée par l’emploi capitaliste, avec la dépossession de toute capacité politique (dans la vie collective et dans la production), avec la servitude pour dette, avec la démolition des services publics, avec l’insolente obscénité des grandes fortunes, avec la soumission entière de l’existence à la tyrannie du chiffre, avec le saccage des lieux où nous vivons, avec les pandémies que la dévastation de la planète nous promet déjà. (...)