
Christian Lehmann est médecin et écrivain dans les Yvelines. Pour « Libération », il tient la chronique d’une société traversée par le Covid-19. Il raconte la difficulté d’opérer un choix entre les malades selon des critères médicaux.
Jeune externe en médecine, dans les années 80, j’étais tombé en Angleterre sur un jeu de rôle d’un genre très particulier, apparemment utilisé en entreprise à l’époque lors d’entretiens d’embauche. Les candidats incarnaient un panel de médecins hospitaliers amenés à choisir, au sein d’une liste de huit patients fictifs, celui ou celle qui pourrait bénéficier de l’unique place de dialyse disponible dans le service de néphrologie. Pour chaque patient, quelques éléments de leur historique, de leur vie familiale, de leur évaluation psychologique, étaient résumés. Et le but de l’exercice, en deux heures, était d’arriver à un consensus.
Troublé par cette découverte, j’avais ramené le document en France et l’avais montré au chef du service de réanimation médicale de l’hôpital où je travaillais, qui tout en comprenant mon malaise, m’avait expliqué que ce genre de décision faisait partie de l’exercice de la médecine, et m’avait cité, outre la dialyse, l’existence du triage en médecine d’urgence et de catastrophe, et la nécessité fréquente de faire des choix en fonction de critères médicaux et des ressources disponibles. « Mais si justement je refuse de faire un choix parce que je n’accepte pas que nous n’ayons pas les ressources disponibles ? » Il m’avait souri avec bienveillance : « Tu peux tout à fait refuser. Ça ne changera pas les ressources disponibles. Et tu laisseras simplement à tes collègues la responsabilité du choix. » (...)