
« lorsqu’on met à nu les ressorts de la domination, il faut simultanément montrer que cette domination n’est pas totale, qu’elle laisse place à des résistances, à des expérimentations émancipatrices, à des brèches qu’il convient d’élargir ».
Dans sa préface Manuel Cervera-Marzal insiste sur trois phénomènes : « le néolibéralisme, le populisme et la démocratie ». (...)
Le préfacier évoque, entre autres, la nouvelle rationalité du néolibéralisme, le modelage des comportements et des affects, les inégalités, la « pente sécuritaire », le rôle de la « social-démocratie » dans le développement des politiques néolibérales, les questions électorales, la lutte pour la définition du « peuple », les aspects contradictoires des usages du numérique, la démocratie comme puissance de « désordonnancement », le « sursaut de l’instituant face à l’institué, du vivant face au meurtri »…
Dans son introduction, Olivier Starquit insiste sur le choix et les décisions « au détriment de ce qui nous est imposé par une autorité extérieure », les individus « libres et égaux », et « leur libre association dans une communauté politique ». Les Lumières sont une référence insuffisante, à mes yeux, car oublieuse des contradictions des Lumières elles-mêmes et la non-prise en compte de l’ensemble des rapports sociaux, pour utiliser les termes actuels. Le chemin de l’abstraction au concret reste un enjeu de luttes, qui englobe l’abstraction elle-même.
Quoiqu’il en soit l’auteur analyse les déclinaisons et leurs conséquences des régimes néolibéraux, les libertés prises avec l’Etat de droit, la mise en place d’un système hautement régulé (« nous sommes loin du prétendu retrait de l’Etat ») en faveur de l’hégémonie des entreprises, la priorisation de l’expertise et l’affirmation d’absence d’alternative à TINA (...)
Il oppose à ce monde, la lucidité comme première résistance, les flammèches nommées lucioles, la réappropriation et la radicalisation de la démocratie, le congé politique pour toustes, la question du savoir et de l’expertise de chacun.e, la dimension instituante de la démocratie, les organisations de communs, l’égalité qui doit régner entre toustes…
Je souligne les analyses de la « métamorphe » de la social-démocratie, la nouvelle histoire centrée sur l’entrepreneur de soi, la mise en concurrence universelle reposant sur la quantification et la comparaison, le ruissellement réel ou la redirection des « richesses du bas en haut de la hiérarchie sociale », le déguisement des préceptes et des injonctions, le storytelling néolibéral, la reconfiguration de l’Etat et de ses actions, le discrédit de la démocratie au nom de l’expertise, la mise à l’abri de l’ordre du marché du pouvoir des urnes, un « régime d’exception économique et financière », le démantèlement des organisations fondées sur la solidarité, l’austérité comme « stratégie de classe », le dévoiement de la notion de citoyenneté, l’extension de l’Etat pénal et la centralisation « du contrôle social, de la discipline et du pouvoir », le discrédit jeté sur les moyens de résistance des classes populaires, la survalorisation de l’administration auto-engendrée par le marché… Et face à ces « directives », l’auteur insiste sur l’absence de récit alternatif, de propositions pouvant construire démocratiquement des solutions émancipatrices. (...)
L’auteur utilise la formule de l’« extrême centre » pour caractériser ces politiques, le centre « excluant et exclusif », le placement du marché hors du débat politique, la suppression de la question de l’exploitation et de la répartition des richesses, la lutte contre le terrorisme (excluant le terrorisme d’Etat) « comme roue de secours », le couplet « répression, surveillance et militarisation de l’espace public ». Tous ces éléments ne sont pas dérapages, mais bien le centre du déploiement du néolibéralisme.
Olivier Starquit aborde aussi la médiocratie, la « moyenne en actes », le formatage du discours et une standardisation de la pensée, le mortier sémantique de la « théorie » de la gouvernance, le culte et la culture de la gestion, les mots qui puent (pour reprendre le titre de son précédent ouvrage), les dimensions de « la sécession des élites » (séparatisme social, ségrégation territoriale – les « ghettos volontaires », évitement scolaire, exil fiscal, etc.)…
Un chapitre est consacré à l’Union européenne, la gestion autoritaire des contradictions économiques et sociales générées par la crise, la congélation de la politique économique, la mise à distance de toute forme de contrôle démocratique et de responsabilité, la BCE organisme privé qui réécrit ses propres règles, l’ordre juridique et monétaire, la restriction du champ des possibles. (...)
Olivier Starquit discute de la notion de « populisme », il en souligne le caractère flou et indéterminé, parle de concept écran et de débat confus. (...)
Quoiqu’il en soit, l’auteur, à juste raison, critique la dissolution du « peuple » dans la multitude des individus consommateurs/consommatrices, sa disqualification par les possédants. Il convient d’étudier les mutations des formes d’exploitation, les conditions et les formes que pourraient prendre la constitution d’un nouveau bloc hégémonique portant haut l’étendard de l’émancipation. (...)
Olivier Starquit poursuit avec des analyses sur les médias, le Big Data et toujours la démocratie. Il propose de dé-privatiser la presse, de réfléchir sur « sur la lenteur et la temporalité ». Il analyse, entre autres, la « fabrication de l’événement », l’information considérée comme une marchandise, et les tensions « entre la valeur d’usage et la valeur d’échange de l’information », la place des sondages remplaçant les enquêtes de terrain, les « pourvoyeurs de politique dépolitisée au langage automatique », la prolifération de fausses nouvelles et d’informations bidons, « le spectre de la censure et de la disqualification », la propriété lucrative des organes de presse (en complément possible sur les médias, Face au mépris des médias dominants, à leur traitement délétère des mouvements sociaux : mobilisons-nous ! (...)
L’auteur souligne la nécessité de contre-récit(s), de narrations propres aux dominé·es, d’un usage d’internet comme « ouvroir de combat potentiel » et l’importance de « la radicalisation de la démocratie et de sa réappropriation comme riposte »… (...)