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Face aux plateformes, il faut un véritable droit social de l’algorithme
Article mis en ligne le 18 janvier 2021

Pour la première fois, un rapport public prend la mesure de la transformation du travail par les plateformes numériques d’emploi et appelle un modèle social plus protecteur pour leurs travailleurs. Parmi les mesures à prendre, il nous semble en particulier essentiel de mettre en place un véritable « droit social de l’algorithme ».

L’ancien président de la chambre sociale de la Cour de Cassation, Jean-Yves Frouin, a rendu en décembre au Premier ministre un rapport visant à « Réguler les plateformes numériques de travail » qui fera date. Il expose en effet avec une force inédite les déséquilibres des relations entre ces plateformes et leurs travailleurs, la contribution des plateformes à l’apparition d’une « nouvelle classe de travailleurs précaires » et les défis que la plateformisation pose au droit du travail et au droit de la concurrence. La nécessité de réguler ces plateformes pour mieux protéger les travailleurs est démontrée avec force.

Leurs travailleurs y étant considérés comme des « indépendants », prestataires de services, il n’y a aujourd’hui au sein des plateformes ni représentation des travailleurs ni dialogue social institué. Les propositions du rapport pour mettre en place – enfin ! – une représentation des travailleurs et un dialogue social formalisé sont particulièrement intéressantes. Le Gouvernement s’est d’ailleurs engagé à les traduire dans la loi dès les prochains mois. Un « management algorithmique », loin d’être neutre

Le rapport apporte aussi des éléments importants en faveur d’une réglementation plus impérative du travail des plateformes, en particulier en recommandant d’introduire un tarif minimum, d’encadrement du temps de travail, d’étendre les protections en matière d’accident du travail. Sur la question du statut des travailleurs, dont le caractère « indépendant » est contesté, du fait à la fois de leur situation de dépendance économique et du degré très important de contrôle des plateformes sur leur travail, il écarte à la fois le statu quo, la requalification en salariat et la mise en place d’un tiers statut spécifique

. Mais sa proposition de recourir à des « tiers sécurisateurs » comme les coopératives d’activités et d’emploi (CAE) ou les sociétés de portage salarial n’emporte pas, loin de là, l’adhésion des acteurs. Outre que la proposition ne règle pas la question du modèle économique des travailleurs des plateformes, ces dispositifs, conçus à d’autres fins, sont difficiles à adapter au travail des plateformes et risquent d’être détournés, tout particulièrement dans le cas des CAE.

À défaut d’avoir clos le débat sur le statut des travailleurs des plateformes, c’est surtout par sa réflexion en faveur de droits communs pour toutes les formes de travail, et les moyens dont dispose le droit pour sortir de la gouvernance par les nombres que le rapport constitue une pierre angulaire. (...)

Le Bureau international du travail (BIT) distingue cinq éléments constitutifs du management algorithmique : la surveillance constante, l’évaluation permanente des performances, l’application automatique des décisions sans intervention humaine, l’interaction des travailleurs avec un système, la faible transparence des algorithmes. Les algorithmes fonctionnent ainsi comme des « instruments de surveillance qui remplacent l’encadrement direct et créent des asymétries de puissance », comme le note le Centre commun de recherche de la Commission européenne.

Dans le cas des plateformes, ces processus de management algorithmique sont exacerbés, alors même que les travailleurs n’y bénéficient d’aucune des garanties apportées par le droit du travail. (...)

La récente décision d’un tribunal de Bologne sur le caractère discriminatoire de l’algorithme de livraison de Deliveroo est en ce sens historique, car elle montre pour la première fois, dans le cadre du travail intermédié par une plateforme, que les algorithmes sont loin d’être neutres et que l’on peut légalement questionner leur fonctionnement. (...)

Mais il faudra aussi agir en amont en instituant des règles encadrant la conception des algorithmes et plateformes, en particulier pour leur imposer des critères d’accessibilité, d’auditabilité et de préservation des ressources attentionnelles. Ces règles doivent aussi permettre aux différentes parties prenantes d’être associées dès la conception des algorithmes et des plateformes.

« Software is eating the world » (Les logiciels mangent le monde). Les bouleversements liés à la gouvernance et au management algorithmiques n’en sont qu’à leurs débuts. Il est urgent et impératif d’en prendre la mesure et, via un véritable droit social de l’algorithme, d’en reprendre le contrôle.