
La colère monte chez les citoyens de la Convention pour le climat. Seuls pour « affronter les lobbies », déçus que nombre de leurs propositions aient été retoquées ou détricotées, certains fatiguent, d’autres montent au front.
Les promesses n’engagent que ceux ou celles qui y croient. Il en va de même pour les engagements d’Emmanuel Macron. Que le temps semble loin où le président de la République discourait, avec entrain, dans les jardins de l’Élysée sur l’urgence climatique et la reprise « sans filtre » de 146 des 149 mesures de la Convention citoyenne. « Je veux que toutes vos propositions soient mises en place le plus rapidement. Allons-y ! Agissons ! », lançait-il sous les applaudissements nourris des citoyens et des citoyennes, redorant, à peu de frais, son blason écolo.
Quatre mois plus tard, le chemin parcouru est pourtant limité et frise l’immobilisme. L’examen du projet de loi dédié à la Convention citoyenne a été décalé à l’année prochaine au lieu de cet automne. L’idée d’un référendum pour changer la Constitution a disparu des agendas et nombre de propositions ont été retoquées, détricotées ou repoussées. Le temps file et les occasions se perdent. Le plan de relance et le projet de loi de finance auraient pu inscrire dans le réel les mesures de la Convention mais il n’en est rien.
« Les propositions de la Convention ont été édulcorées au maximum : il en reste seulement l’habillage, sans le contenu », juge Greenpeace. « La majorité a vidé de sa substance l’ambition des citoyens », regrette, de son côté, le Réseau action climat. « Enfumage », « politique du blabla », « travail de sape »... Les associations rivalisent de formules pour critiquer « la démission écologique du gouvernement. Jeudi 15 octobre, des militants d’ANV-COP21 ont même plongé dans la Seine des portraits du Président de la République pour montrer que « ses promesses prenaient l’eau ». « Macron est à la dérive. » Ses engagements se noient. (...)
« Le gouvernement se fout ouvertement de notre gueule »
Bref, il n’en finit plus de pleuvoir des « jokers ». Récemment, Bercy a sous-entendu en avoir 25, soit bien plus que les trois évoqués initialement par le président de la République en juin. Du côté du gouvernement, on annonce, fièrement, avoir mis en œuvre « totalement ou partiellement » cinquante des propositions de la Convention. En réalité, cette énumération concerne peu de mesures emblématiques et la plupart ont été aseptisées. Par exemple, le moratoire sur les zones commerciales s’est transformé en une simple circulaire envoyée aux préfets pour leur recommander de ne pas artificialiser des terres agricoles. Elle ne prend pas non plus en compte les hangars de e-commerce contrairement à ce qu’avait annoncé Barbara Pompili. Autre illustration : le gouvernement veut interdire les vols aériens quand une alternative en train de moins de deux heures trente existe. La Convention, elle, proposait quatre heures. Une nuance qui n’a rien d’anecdotique. (...)
Face à ce climat délétère, les citoyens et les citoyennes de la Convention ont décidé de sortir du bois, partagés entre un sentiment d’inquiétude et une forme de défiance. Un vent de rébellion se lève. Ces dernières semaines, le malaise devient de plus en plus palpable. (...)
« Nous ne sommes pas dupes, alerte, enfin, la bretonne Yolande Bouin. On ne va pas laisser le gouvernement détricoter nos mesures en silence. » Exaspérés par les tergiversations du pouvoir, les citoyens de la Convention vont-ils finir par se révolter ? La créature va-t-elle échapper à son maître ?
Quelques signaux vont dans ce sens. Le 14 octobre dernier, une dizaine de citoyens et de citoyennes, venus des quatre coins du pays manifestaient devant l’Assemblée nationale. Ils dénonçaient rien de moins qu’« une trahison ». (...)
Mi-octobre, l’association des 150, qui regroupe 130 citoyens de la Convention, a envoyé un courrier à Emmanuel Macron pour lui demander de réaffirmer son engagement. « Nous avons le sentiment de manquer d’un soutien clair et défini de la part de l’exécutif dont les prises de position nous apparaissent parfois contradictoires », écrivaient-ils.
Nous ne pouvons continuer à défendre nos mesures quand nous peinons à trouver dans les actions du gouvernement l’ambition générale d’une transition écologique efficace. »
Le président de la République leur a tout de suite répondu. Sa lettre n’avait pas de quoi les rassurer. Après les avoir félicité pour leur travail, il les prévenait que « certaines des mesures méritaient des ajustements [...] Parfois, elles nécessitent une temporalité différente. […] Parfois, pour le même objectif des solutions différentes peuvent émerger. » (...)
« Le contexte devient compliqué et notre marge de manœuvre est assez étroite, admet Mélanie C. une membre de la Convention. On n’est pas des politiques rompus à l’exercice. Il y a un an, la plupart des citoyens ne savait même pas ce qu’était un projet de loi de finance ! Et maintenant, on se retrouve en première ligne, au milieu de l’arène, à discuter avec le gouvernement, à affronter les médias et les lobbies, alors que ce n’était pas notre mandat de départ. On devait juste se mettre d’accord entre nous, les 150, pour trouver des mesures consensuelles et transformatrices. » (...)
Depuis la remise des travaux au chef de l’État, en juin dernier, les membres de la Convention ont une nouvelle mission. Ils continuent de travailler – bénévolement – pour suivre l’application de leurs mesures et participent à l’élaboration de la future loi. « Au début, on était hyper fiers. Cela récompensait notre sérieux, témoigne Amandine Roggeman. Mais, en fait, j’ai vite été prise d’angoisse. Se retrouver autour de la table, cela n’est jamais neutre. On a pris des coups. »
Au cours des débats, l’association 40 millions d’automobilistes a par exemple, raillé « les élucubrations écologistes extrémistes » des citoyens. Christiane Lambert, la présidente du syndicat agricole la FNSEA, a aussi critiqué « leur méconnaissance des problèmes agricoles » (...)
La situation laisse perplexe les citoyens. « On nous envoie au front alors que c’est au gouvernement de prendre ses responsabilités, soupire William Aucant. Pour nous, il est hors de question de débattre à nouveau de nos mesures. Nous voulons simplement les expliquer à l’ensemble des acteurs », précise-t-il. La tâche n’est pas simple. « La France en grand » est bien plus conflictuelle que « la France miniature » tirée au sort...
« On arrive dans un temps où les citoyens vont venir se réaffirmer »
« La stratégie déployée par le gouvernement est maligne, analyse de son coté, Yolande Bouin. Pendant qu’on braque les projecteurs sur 150 gugusses, l’exécutif court-circuite les corps intermédiaires. On se retrouve les seuls interlocuteurs sur le sujet et les associations écolos sont complètement marginalisées. C’est absurde ! On voudrait que les portes des ministères soient rouvertes aux militants, ils en savent bien plus que nous sur le climat ! » (...)
« Pour l’instant, on ne boycotte pas et on ne renverse pas la table mais on aimerait bien un discours de clarté, de vérité et de franchise », admet le citoyen. (...)
Les citoyens multiplient les conférences dans les territoires. Ils ont reçu le soutien financier de plusieurs collectivités territoriales. La Convention essaime. Des nouvelles municipalités veulent tenter l’expérience à l’échelle de leur agglomération. (...)
L’issue de la Convention citoyenne n’en est pas moins incertaine. « L’enjeu reste pourtant décisif », rappelle William Aucant. « Nos mesures, c’est la base si on veut impulser la transition écologique », dit-il. « Si le gouvernement s’y refuse, on court droit vers la catastrophe. Non seulement on ne sauvera pas le climat mais en plus on discréditera toute nouvelle initiative de ce type. Après, je ne vois pas ce qu’il nous restera pour nous faire entendre comme citoyen. Ça risque d’alimenter la défiance vis-à-vis du politique. »