
Sur les bords de l’East River à Brooklyn, le 9 septembre dernier, des personnes se relaient au centre d’un cercle et prennent la parole pour expliquer comment leurs dettes leur sont devenues insupportables, par les paiements qu’elles supposent chaque mois et, plus fondamentalement, par les choix qu’elles les obligent à faire, ou plutôt l’absence de choix dans laquelle elles les enferment. Certaines disent la honte qu’elles ont ressenties, d’autres leur dégoût, leur incompréhension, le puissant sentiment d’injustice. Puis, dans un geste libérateur, elles mettent le feu à ce courrier leur rappelant le montant qu’elles doivent encore rembourser, ce relevé bancaire faisant état de crédits impayés... Cet acte rappelle celui des militants qui, pour protester contre la guerre du Vietnam, brûlaient leur carte d’incorporation dans l’armée. Mais le geste n’est pas seulement symbolique, il a une fonction cathartique : il s’agit aussi de se débarrasser du sentiment de culpabilité, de briser le tabou, le silence, l’isolement des personnes endettées afin de créer un mouvement de résistance. Strike Debt, le groupe « d’objecteurs de créances » à l’origine de cette action, a d’ailleurs pour slogan ce jeu de mots : « You are not a loan !/ You are not alone ! |1| » (...)
Dans le combat que ces militant-e-s d’Occupy Wall Street (OWS) ont entrepris contre un des piliers – certes branlant-, de « l’American way of life », une des premières tâches consiste à comprendre et expliquer : analyser pour faire apparaître les rouages du système, dénoncer les vies pressurées, laminées, rognées, et éventuellement, être les grains de sable perturbant le bon fonctionnement de la machine. Tenter de décrypter parce que, pour reprendre les mots d’une militante qui, malgré la complexité du sujet, s’est attelée à l’étude de la dette municipale, cela arrange bien les 1% que les 99% n’y comprennent goutte.
Les membres surmotivé-e-s de Strike Debt saisissent donc toutes les occasions de partager le fruit de leurs recherches et leurs réflexions (...)
Le travail de ce collectif n’en est peut-être qu’à ses débuts, mais il est très enthousiasmant et va déjà loin en termes de théorisation du « système dette » (...)
La dette fonctionne clairement comme un instrument de soumission et de contrôle des populations, qui oblige à accepter des jobs sous-payés ou dissuade de faire grève pour revendiquer plus de droits par exemple. Ainsi, Noam Chomsky voit dans la dette faramineuse des étudiant-e-s un moyen de faire rentrer les plus idéalistes dans le rang (...)
Mais la dette est aussi un formidable moyen d’extorsion. Extorsion d’argent, mais aussi de travail, de temps, de possibilités à venir. (...)
Les auteur-e-s du manuel ont, de leur propre aveu, été amené-e-s sur des terrains qu’ils/elles n’avaient pas envisagés et dont le lien avec la dette n’était pas a priori évident (...)