Dans son ouvrage, Ludivine Bantigny retrace à travers l’histoire de la grande avenue de la Ville lumière celle du combat de classe dans notre pays.

Sa topographie et les phases successives de son occupation matérialisent des luttes entre classes sociales, et au final scelle l’empire d’une bourgeoise possédante qui s’y est durablement installée. Si bien que l’accès des Champs est permis mais réservé. Les enseignes et les lieux de prestige imposent leurs standards aux gens dont les poches sont vides ou presque. Les nantis s’y reconnaissent et cultivent l’entre-soi, tandis que les classes sociales modestes observent le spectacle à distance, depuis le trottoir. Parmi ces aspirateurs à mondanités sélectives, le Fouquet’s et les hôtels de luxe qui, rappelle Ludivine Bantigny, sont ancrés dans l’imagination politique populaire parmi les symboles ambigus : à la fois signes désirables d’une richesse matérielle et, au lendemain de la fête « bling-bling » de Sarkozy et bonne compagnie au Fouquet’s, un repoussoir obscène – une nouvelle Bastille à prendre. (...)

Les distances sociales sont « abyssales » entre ces travailleurs (kiosquiers, éboueurs, employés précarisés des commerces et restaurants, concierges des hôtels, etc.) et les gens qui jouissent de ces consommations ostentatoires. Le bon peuple, lui, est maintenu à l’écart de ce faste et ne connaît souvent les Champs que par le truchement de contenus culturels recodés par le petit écran – Dassin, Drucker, les « Bleus ».

C’est cet ordre social injuste que les gilets jaunes ont bousculé sur le champ de bataille qu’est devenue l’avenue à l’automne 2018. (...)

Les mots d’ordre en vue de plus de justice sociale, entonnés sur les pavés, ont été tus peu à peu. Et le commerce a repris depuis. Il subsiste néanmoins la mémoire vive d’un contrechamp possible, et ce n’est pas le moindre des mérites de cet essai que de le mettre en lumière.

Arnaud Saint-Martin, Sociologue