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Mediapart
Éric Dupond-Moretti, « un ami du Maroc » au gouvernement
Article mis en ligne le 23 juillet 2021

L’affaire Pegasus pose la question des relations du ministre de la justice français avec le Maroc, dont le roi a compté parmi ses clients. Le risque de conflit d’intérêts est à nouveau présent. « Le garde des Sceaux n’est pas un agent double au service d’une puissance étrangère », répond le cabinet d’Éric Dupond-Moretti.

Au milieu des déflagrations en série que déclenche l’affaire Pegasus, il est un sujet encore peu abordé mais qui mérite de l’être : alors que le Maroc est accusé publiquement d’avoir cherché à espionner les téléphones d’Emmanuel Macron, d’une quinzaine de ministres, d’autres personnalités politiques et de journalistes (ce que conteste le royaume chérifien), il se trouve que l’actuel ministre de la justice français, bien en cour au Maroc, a été jusqu’à une date récente l’avocat du roi Mohammed VI. Le risque d’un nouveau conflit d’intérêts d’Éric Dupond-Moretti, déjà fragilisé par sa mise en examen pour « prise illégale d’intérêts », est bien présent.

Dès la nomination du nouveau ministre de la justice, en juillet 2020, Mediapart soulignait les dangers du choix fait par Emmanuel Macron. Vouloir bousculer la magistrature est une chose, promouvoir un avocat à la clientèle sulfureuse, s’étant positionné en ennemi déclaré des juges, de la transparence de la vie publique mais aussi de la libération de la parole des femmes en est une autre. (...)

Pendant la décennie 2010-2020, il défend ou représente (notamment) la République du Gabon, la République du Congo, le roi du Maroc Mohammed VI, le président de Djibouti Ismail Omar Guelleh, des dignitaires monégasques, mais aussi Bernard Tapie, Jérôme Cahuzac, Georges Tron, Patrick Balkany ou Alexandre Djouhri. Des clients qui ne s’attendaient certainement pas à ce que leur zélé défenseur devienne un jour le ministre de la justice de la France.

À peine nommé garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti est rattrapé par ses conflits d’intérêts. (...)

Il est ensuite mis en examen par la Cour de justice de la République, soupçonné d’avoir usé de son pouvoir de ministre pour régler des comptes personnels avec des magistrats. La plupart des grands médias ne lui en tiennent pas rigueur, qui continuent à le bichonner comme une célébrité et évitent les questions qui fâchent.

Le Maroc fait partie de ces sujets gênants. (...)

après avoir longtemps défendu la veuve et l’orphelin, Éric Dupond-Moretti a progressivement basculé dans un autre univers, dans les années 2010. Initié notamment par Robert Bourgi, il a offert ses services à plusieurs chefs d’État africains, dont Mohammed VI. Il rejoint le petit cercle des avocats français du royaume, aux côtés de deux « historiques », Ralph Boussier et Yves Repiquet.

L’avocat médiatique ne ménage pas sa peine pour défendre les intérêts du très controversé roi du Maroc. En 2015, par exemple, celui que l’on surnomme encore « Acquittator » court les plateaux télé et les studios radio pour dénoncer une tentative de chantage exercée par deux journalistes contre le monarque chérifien. Il écorne, au passage, la présomption d’innocence d’Éric Laurent et Catherine Graciet, alors gardés à vue. Depuis, les deux journalistes ont été renvoyés en correctionnelle pour « chantage ». Dans ce dossier, le royaume est désormais représenté par Antoine Vey, l’ancien associé d’Éric Dupond-Moretti. (...)

Comme si de rien n’était, la coopération judiciaire avec le Maroc, un État autoritaire, désormais accusé d’avoir espionné les plus hautes autorités françaises, est donc incarnée à ce jour par l’ancien avocat du roi, devenu récemment un ministre mis en examen. Les interrogations soulevées par la situation actuelle d’Éric Dupond-Moretti sont importantes.

Le garde des Sceaux est-il destinataire de remontées d’informations pour d’éventuelles procédures judiciaires en France concernant Mohammed VI et d’autres personnalités marocaines ? Ces procédures font-elles, au contraire, partie des dossiers pour lesquels les remontées d’informations ne sont plus communiquées à Éric Dupond-Moretti et sont traitées par Matignon, à la suite du décret signé le 23 octobre par le premier ministre ? Le ministre de la justice sera-t-il tenu informé de l’évolution de l’enquête préliminaire ouverte le 20 juillet à Paris dans cette affaire d’espionnage massif de téléphones portables imputée notamment à l’État marocain ? (...)